MÉMOIRE(S)
L’écrivain Maurice Genevoix vient d’entrer au Panthéon : outre les familiers du lieu, qui se souvient que dans ce ‘’temple’’ figurent depuis 1927 quatre plaques en hommage aux cinq-cent-soixante écrivains morts pour la France durant la Première Guerre mondiale ? Parmi eux Alain-Fournier, Aristide Bruant, Guillaume Apollinaire, Louis Pergaud, Charles Péguy, Ernest Psichari… Ceux qui survécurent, témoignèrent dans des récits et romans marquants, le plus souvent de leur expérience de combattants de base. Quant aux chefs, ils furent nombreux à publier leurs mémoires, et pour certains à être élus à l’Académie française. À chacun sa coupole…
Faire entrer Maurice Genevoix au Panthéon, c’est bien souligner l’importance de tous ces livres d’écrivains-combattants, véritables passeurs de mémoire. Pour l’histoire française précédant le premier conflit mondial en effet, on ne dispose que de très peu de témoignages écrits sur les guerres issus de militaires subordonnés (en partie sans doute à cause de l’illettrisme fréquent chez les soldats) : les récits de guerre étaient l’apanage des officiers supérieurs et généraux. Pour prendre l’exemple des guerres napoléoniennes, pour un Jean-Roch Coignet (1776-1865), qui nous a laissé des Cahiers de ses souvenirs, alors qu’il avait appris à lire ‘’entre Friedland et Wagram’’, deux de la vingtaine de batailles auxquelles il participa, pour un Coignet donc, une exception, combien sont plus nombreux les mémoires de généraux, à l’exemple de Las Cases ou de Marbot ?
Cette irruption des récits de guerre « des petits, des obscurs et des sans grades » (merci Rostand) à l’occasion de la guerre de 1914-1918 s’accompagne également d’une vision le plus souvent sans fard de l’horreur de la guerre, à l’instar du quelque peu oublié Le Feu d’Henri Barbusse, paru en 1916, prix Goncourt cette année-là et qui connut un immense succès… alors que Ceux de 14 de Maurice Genevoix (paru sous la forme de cinq récits entre 1916 et 1921, regroupés en 1949) fut moins remarqué. Moins remarqué aussi que Les Croix de bois de Roland Dorgelès (1919), prix Femina à défaut d’avoir obtenu le prix Goncourt, devancé par un certain Marcel Proust. On remarquera aussi que le poignant témoignage de Gabriel Chevallier (1895-1969) La Peur, paru en 1925 passa inaperçu, l’auteur connaissant le succès avec la série de romans sur Clochemerle, chronique villageoise… humoristique !
En regard, un Charles Péguy (« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle//Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre… ») ou encore un Maurice Barrès (1862-1923) qui glorifiait les combats, surnommé par Le Canard enchainé « chef de la tribu des bourreurs de crâne » apparaissent beaucoup plus en décalage avec notre époque.
Au total, les mémoires que nous ont laissés les maréchaux Foch (1931) et Joffre (1932), bien qu’ils aient été élus à l’Académie française dès 1918, ont bien moins marqué les esprits que les écrits des ‘’écrivains-combattants’’ ; ceux qui regroupés en association en 1919 à l’initiative de survivants comme José Germain, Dorgelès, Genevoix, Pierre Mac Orlan, Émile Henriot… initièrent l’hommage rendu au Panthéon aux cinq-cent-soixante écrivains morts durant la guerre de 1914-1918, sous la forme de quatre plaques sur lesquelles leurs noms sont gravés. Genevoix le survivant les a rejoint.