INONDATIONS
Quelques jours après que la tempête Alex ait ravagé les hautes vallées des Alpes maritimes, EDF inaugurait dans la vallée de la Romanche (Isère) l’usine de Gavet qui va produire 560 GWh d’électricité chaque année, équivalent à la consommation de Grenoble et Chambéry. L’eau, pour le pire ou le meilleur… nouvelle démonstration que l’eau, à l’origine de la vie il y a trois milliards d’années, avec les premiers microorganismes, ne fait pas toujours que des cadeaux. La liste est longue de ces inondations qui ont endeuillés des territoires français. Elles sont demeurées ou pas dans la mémoire collective sans que l’on sache bien pourquoi. Peut-être pour une raison de gros sous plutôt que du nombre de victimes.
Toulouse, juin 1875 : la Garonne déborde, le faubourg Saint-Cyprien est submergé, ses maisons construites en terre ne résistent pas, plus de 200 morts seront déplorés. Trois jours plus tard, le chef de l’État, le maréchal de Mac-Mahon est sur place. Le maire, le vicomte François Toussaint, le reçoit et fait un discours interminable, le président trouve le temps long : la vision depuis les fenêtres des plaines inondées lui inspire pour interrompre ce… déluge de parole la réflexion : « Que d’eau, que d’eau ». Une formule, somme toute diplomatique, qui sera colportée pour dénigrer Mac-Mahon, et l’accuser d’un manque total de compassion (on dirait aujourd’hui d’empathie) voire comme un témoignage d’une prétendue insuffisance du maréchal. Depuis, l’eau est passé sous les ponts de la Garonne…
…Comme sous le pont romain de Vaison-la-Romaine qui résista à la terrible crue de 1992, bel exemple de compétence de ces ingénieurs d’il y a 2 000 ans. Car lors de cette même crue, à Beaumes-de-Venise, le pont sur la Salette lui, beaucoup plus récent, ne tint pas le choc¹. Plus affligeant : la cause principale de la quarantaine de morts déplorés les 22 septembre 1992 (trente-quatre à Vaison-la-Romaine) est à rechercher dans la révision du plan d’occupation des sols rendant constructibles des terrains sur un km en bordure de rivière, avec à la clef des prix du foncier multipliés par plus de dix…
Rien d’original hélas, car la dimension ‘’gros sous’’ n’est jamais très loin dans la problématique des inondations : suite à la catastrophe provoquée à Fréjus par la rupture du barrage de Malpasset après des précipitations intenses en décembre 1959 (plus de quatre cents morts), aucune faute professionnelle (et pourtant…) ne fut reproché aux constructeurs, et leurs assurances n’eurent pas à verser d’indemnités. Et pour la célébrissime crue de la Seine de 1910 qui occasionna peu de décès, le bilan financier des dégâts est bien connu : quatre cents millions de francs-or (1,6 Mds€) plus cinquante millions de francs-or de secours pour les sinistrés. Inversement, pour les terribles inondations de mars 1930 dans le bassin du Tarn, entraînant des centaines de morts, sept cents sans doute, difficile de trouver une estimation financière des dégâts… et l’on ne peut que constater que quatre-vingt-dix ans après, ces inondations ne font pas partie du ‘’roman national’’, de la mémoire collective française si l’on préfère.
Vingt décès furent à déplorer début octobre 2015, dans les Alpes maritimes déjà (et aussi dans le Var) sur la côte, lors d’un épisode de crue. Le quotidien le Monde évoquait un coût compris entre 550 et 650 M€. Pour l’épisode d’octobre 2020, le président Macron a évoqué « des centaines de millions d’euros » qui seront investis par l’État, sur une facture évaluée par certains à un milliard d’euros.
Gros sous toujours.
Denis Tardy
¹ À l’inverse en juillet 1892, le pont romain de Saint-Gervais-les-Bains, au Fayet fut détruit lors de la crue qui fit près de deux cents victimes, balayant notamment l’établissement thermal.