Chronique du jeudi 24 septembre 2020

 

GRAND FORMAT

 

Les 80 ans de la découverte fortuite de la grotte de Lascaux (le 12 septembre 1940), ‘’Chapelle-Sixtine de la Préhistoire’’, conjugué quelques jours plus tard (les 19 et 20 septembre) aux Journées européennes du Patrimoine offrent le prétexte d’actualité pour s’intéresser à ces représentations de format XXL, témoignages artistiques précieux mais aussi irremplaçables source de connaissance du passé dans des détails parfois surprenants. Un apport considérable à l’histoire des mentalités.

 

Quelques 14 à 18 millénaires se sont écoulés entre l’époque où nos ancêtres réalisaient les décors pariétaux de la grotte de Lascaux sur 250 mètres de long et 1889 date où s’ouvrait au public à Lucerne en Suisse le musée présentant le ‘’panorama Bourbaki’’, une peinture géante (112 mètres de long) évoquant la débâcle de cette armée française contrainte en 1871 de se réfugier en Suisse. Entre temps, la reine Mathilde brodait d’après la tradition la ‘’tapisserie de Bayeux’’ (68 mètres de long) au XIe siècle, un siècle plus tard le ‘’maître de Conques’’ sculptait le tympan de l’abbatiale éponyme de l’Aveyron ; au début du XIVe siècle, ce sont les peintures du château de Cruet (Savoie) qui étaient réalisées sur plusieurs dizaines de mètres (33 conservés). Quant à Benozzo Gozzoli, il peint au XVe siècle l’immense ‘’cortège des Mages’’ à Florence pour les Médicis.

Les anciens égyptiens voyaient grand avec leurs pyramides… tout comme les magdaléniens et autres gravettiens voire aurignaciens avec leurs grottes ornées ; l’invention de Lascaux il y a exactement 80 ans a inauguré toute une série de découvertes, à Marseille en 1991 (grotte Cosquer) puis à Vallon-Pont-d’Arc en 1994 (grotte Chauvet), à Buisson-de-Cadouin en 2000 (grotte de Cussac)… autant de découvertes renouvelant la connaissance de l’art pariétal… sans pour autant donner les clefs pour comprendre le sens de ces représentations. Toutefois, on ne peut que constater la volonté de sapiens de mettre en scène en très grand format ses aspirations, ses invocations, sa vie quotidienne, le monde qui l’entoure… Une pratique qui perdure depuis plus de 30 000 ans. Comme si sapiens refusait que mort rime avec oubli, sans que soit exclues des arrières-pensées politiques dans certaines de ces œuvres.

Ainsi de la tapisserie dite de Bayeux, une broderie en réalité, présentant la conquête de l’Angleterre par le duc normand Guillaume le Conquérant et son contexte, qui justifie cette conquête au point que certains ont pu parler de propagande ; mais l’œuvre en question, au travers de 58 scènes très réalistes apporte des précisions sur les bateaux et la navigation au XIe siècle, sur les évolutions que connaissent à cette époque les pratiques agricoles, sur les armes et l’équipement des combattants… Et la présence de textes accompagnant les représentations brodées renvoie au procédé très ultérieur de la bande dessinée… comme sur le tympan de Conques, une autre de ces grandes œuvres artistiques (par la taille mais pas seulement) qui représente plus de 120 personnages associés à des inscriptions illustrant la croyance chrétienne en un Jugement dernier et dans la vie après la mort. L’au-delà si l’on préfère, dans ce que les spécialistes qualifient de parousie.

Toujours au Moyen-Age, les peintures murales du château de Cruet, du début du XIVe siècle, font appel à l’histoire de l’époque carolingienne, pour soutenir la revendication des comtes de Savoie sur le territoire viennois: on n’est pas très loin de la justification de la conquête de l’Angleterre évoquée avec la tapisserie de Bayeux.

Autre témoignage de ces œuvres artistiques grand format avec lesquelles sapiens tente de conjurer l’oubli, la fresque du ‘’cortège des Mages’’ réalisée dans le palais Medici-Riccardi à Florence au milieu du XVe siècle par Benozzo Gozzoli (1420/1424-1497). Un cortège se déployant sur une longueur impressionnante sert de prétexte à la représentation des membres de la famille Médicis dans toute leur puissance, eux qui ont obtenu un succès majeur avec la réunification des églises catholiques et orthodoxe (qui sera de courte durée) : autour des Médicis, ce sont les puissants du monde d’alors qui sont représentés. « Vanitas, vanitatum et omnia vanitas… »

Enfin plus près de nous, le « panorama Bourbaki », présenté depuis la fin du XIXe siècle à Lucerne (Suisse) : de telles peintures géantes étaient très en vogue au XIXe siècle, celle-là est une des rares à avoir survécue. Représentant un épisode de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, le repli en Suisse d’une des armées françaises vaincue, dans un froid polaire (-20°), cette œuvre géante du peintre Edouard Castres offre un regard rétrospectif non sans intérêt alors que de nos jours des migrants frappent en nombre et avec insistance à la porte de l’Europe. Car dans ce cas, les migrants c’étaient des français (près de 100 000) ; et ce fut l’occasion pour la Croix-Rouge, créée quelques années plus tôt, de préfigurer l’action des ONG actuelles.

Reste à savoir si parmi les œuvres grand format de notre époque (les murs peints de nos métropoles), certaines passeront à la postérité.

Denis Tardy

 

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