IMPARFAIT
L’imparfait, c’est un temps de conjugaison pour évoquer le passé. L’imparfait aussi, c’est une caractéristique de l’homme. Et d’autant plus que la notion d’imperfection évolue : ce qui était parfait durant l’Antiquité, à la Renaissance, au siècle des Lumières, à la Belle Époque… aujourd’hui a évolué. Histoire d’enfoncer encore le clou à propos des non-sens des remises en cause de personnalités du passé reconnues marquantes faisant l’objet de ‘’déboulonnages’’, on a (re)découvert la trajectoire de Charles Richet (1850-1935), prix Nobel en 1913 pour sa mise en évidence de la formation des anticorps (anaphylaxie) dont les travaux ont ouvert la voie à la séropathie, qui fait partie des solutions envisagées contre la Covid-19. Défenseur de Dreyfus, pacifiste, militant de l’Espéranto, ‘’racialiste’’ aussi, Charles Richet illustre parfaitement l’impasse où nous conduisent les déboulonneurs de tous poils ces derniers temps.
« Il faudra », explique Charles Richet dans son essai La Sélection humaine paru en 1913, « pratiquer… la sélection physique en écartant résolument tout mélange avec les races inférieures » ; il ira même jusqu’à écrire « après l’élimination des races inférieures, le premier pas dans la voie de la sélection, c’est l’élimination des anormaux ». Çà coince pour le moins ! On comprend dès lors qu’en mai 2015, le directeur de l’Assistance-publique-Hôpitaux de Paris, Martin Hirsch tout comme le maire de Villiers-le-Bel (Val d’Oise) aient décidé de débaptiser l’hôpital gériatrique qui portait son nom. L’hôpital en question s’appelle aujourd’hui Adélaïde Hautval, une psychiatre reconnue ‘’Juste parmi les nations’’.
Pourquoi évoquer Charles Richet aujourd’hui ? D’abord parce que la décision de 2015 anticipait la vague déferlante de ‘’déboulonnements’’ de ces derniers mois, en avance de cinq ans. Ensuite, parce que ce scientifique fut un pionnier dans son domaine, ouvrant la voie à la sérothérapie, évoquée ces derniers temps parmi les pistes prometteuses dans la lutte contre la Covid-19. Il reçut le prix Nobel en 1913 pour sa description de l’anaphylaxie, et était membre de l’Académie de médecine.
Un grand scientifique donc, égaré dans les questions philosophiques ? Pas si simple. Car son indubitable ‘’racialisme’’ ainsi que l’on dit aujourd’hui, eugéniste serait plus correct, cadre mal avec son engagement parmi les dreyfusards en faveur du capitaine juif injustement condamné dans une ‘’Affaire’’ où les antisémites anti-dreyfusards se déchaînaient, à la manière d’un Édouard Drumont. Tout comme le pacifisme de Charles Richet lui fait tenir des propos très loin de l’élimination d’anormaux. Dans différents ouvrages (Le passé de la guerre et l’avenir de la paix en 1907 ou Les coupables en 1917) il s’insurgeait : « La force, c’est la guerre, c’est le procédé des enfants, des bêtes, des sauvages, c’est le procédé des hommes d’aujourd’hui, l’autre procédé c’est le droit… le recours à un tribunal arbitral ». Ou encore : « Assez de sang ; assez de larmes ; assez de douleurs… chaque État souverain devra s’incliner devant… le droit ». Et pour la petite histoire Charles Richet militait pour la généralisation d’une langue universelle, l’Espéranto, et dans ses expérimentations sur les animaux, utilisait l’anesthésie quand ses confrères se contentait de les immobiliser avec du curare. Les amis des bêtes apprécieront-ils ?
De Gaulle, en faisant déposer une gerbe à l’île d’Yeu sur la tombe du maréchal Pétain le 10 novembre 1968, cinquante ans après l’armistice clôturant la guerre de 1914-1918, et comme sur la tombe de tous les généraux vainqueurs dans ce conflit, avait expliqué deux ans plus tôt : « Si l’usure de l’âge mena le maréchal Pétain à des défaillances condamnables, la gloire qu’il acquit… en conduisant l’armée française à la victoire ne saurait être contestée ». Le président Pompidou fit aussi déposer une gerbe en février 1973, tout comme Valéry Giscard d’Estaing en 1978, et François Mitterrand en 1984, 1986 et chaque année à partir de 1987 jusqu’en 1993 : « La gloire de Verdun et la honte de 1942 », expliquait-il en substance, « sont des contradictions de l’histoire qui nous placent dans des contradictions insupportables ». Jacques Chirac président n’a pas fait déposer de gerbe à l’île d’Yeu, ses successeurs Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron ont évoqué « le grand soldat » mais François Hollande n’a pas prononcé le nom du maréchal Pétain lors de la commémoration des cent ans de la bataille de Verdun.
Charles Richet n’était pas Pétain. Mais il incarnait à son niveau les contradictions insupportables de l’histoire qu’évoquait François Mitterrand. Des contradictions qui concernent beaucoup de nos ancêtres passés à la postérité. Des contradictions à analyser dans leur contexte historique. Des contradictions à évoquer à… l’imparfait.