PATRIMOINE
Comme pour la composition d’un gouvernement avec la nécessité de respecter, pour le choix des ministres, de savants dosages (parité, sensibilité politique, origine géographique, caractéristiques sociologiques, personnalités compatibles… on en passe), l’élaboration de la liste des projets patrimoniaux par Stéphane Bern et ses collaborateurs (soit dix-huit monuments emblématiques pour le loto du patrimoine de septembre prochain) dévoilée il y a quelques jours se devait de témoigner des diversités du patrimoine français, aux plans géographique, thématique et historique. Du moins on aurait pu le penser. Mission remplie ?
Si toutes les régions de la France métropolitaine sont représentées, avec un monument retenu parmi les dix-huit de la liste du prochain loto du patrimoine, il est loin d’en être de même pour les territoires ultramarins : manquent à l’appel Mayotte, Saint-Barthélémy, Saint-Martin, Wallis et Futuna, la Polynésie française, la Nouvelle Calédonie, les Terres australes et antarctiques françaises, Clipperton. Si pour les deux derniers, moins de deux cents habitants à eux d’eux, cela paraît compréhensible, pour la Nouvelle Calédonie (271 400 habitants en 2019) et la Polynésie française (276 000 habitants en 2017), cela semble plus surprenant, d’autant que Saint-Pierre-et-Miquelon (6 000 habitants environ) est présente dans la liste avec sa cathédrale Saint-Pierre. Dès lors, sachant qu’il y a des patrimoines en péril partout, on se demande pourquoi la mission Bern, au regard de la représentation géographique des territoires français, s’est arrêté sur le chiffre de dix-huit et non pas de vingt-six monuments, la France comptant treize régions métropolitaines et treize territoires ultramarins. Éventuellement, vingt-cinq monuments auraient été acceptables dès lors que l’îlot de Clipperton (7 km2) n’a aucun habitant.
Autre critère de choix qu’aurait pu adopter la mission Bern : refléter la diversité thématique du patrimoine. Sur ce plan, la liste des dix-huit monuments s’avère très marquée par l’histoire… de la protection du patrimoine : la moitié des monuments retenus sont des édifices religieux chrétiens, proportion très proche de celle du patrimoine religieux bénéficiant d’une protection, sur un total d’environ 15 000 classements et 30 000 inscriptions. Pour les neuf autres bâtiments retenus il s’agit de deux ponts (suspendus), deux forts militaires, deux édifices agricoles (une grange et un séchoir non politiquement correct, à tabac), un ex-tribunal, une maison elle aussi non politiquement correcte, coloniale, et un théâtre romain. On comprend que le patrimoine des objets mobiliers (300 000 classements pourtant) ne soit pas représenté, tout comme le fumeux patrimoine immatériel, concept développé récemment ; en revanche l’absence de patrimoine industriel surprend. Et l’habitat est réduit à la portion congrue.
Troisième critère, historique celui-là, qui aurait pu présider au choix de la mission Bern. En ce domaine, les bâtiments les plus récents (sept du XIXe siècle, trois du XXe siècle) témoignent de ce que pour la mission Bern, le temps ne s’est pas arrêté avec la mort de Mérimée en 1870. Mais du coup, l’Antiquité ne bénéficie que d’un monument, le Moyen-Âge de trois, et les Temps modernes (1492-1789) de quatre.
Prochainement, on connaîtra, en septembre, la centaine de projets sélectionnés, en plus, par la mission Bern. Nul doute qu’alors, toutes les facettes du patrimoine français, géographique, thématique, historique seront bien représentées. Sauf peut-être à Clipperton…
Denis Tardy
Nota : La liste des dix-huit monuments retenus est consultable sur de nombreux sites Internet.