TOTALICIDE
La Convention citoyenne pour le climat, qui a rendu ses conclusions le 21 juin, propose de soumettre à référendum la création du crime d’écocide. Depuis quelque temps aussi, la demande de création du crime de féminicide émerge. Crimes individuels, crimes collectifs sont souvent qualifiés par des mots dotés du suffixe ‘’cide’’. On en a dénombré une quinzaine, dont certains inusités aujourd’hui. Qu’il s’agisse de mots délaissés ou de mots en train d’émerger, tous ces termes en ‘’cide’’ témoignent des préoccupations de leur époque, sans être pour autant éloignées de celles d’aujourd’hui.
Les mots homicide (du latin homicidium, apparaissant en français au XIIe siècle) et suicide (daté lui, toujours par le dictionnaire Robert de 1734) sont à l’origine d’une riche descendance, qu’il s’agisse de la suppression de la vie d’autrui par un individu, dans la cellule familiale, ou encore de l’élimination de personnes représentatives, de groupes humains pour des raisons idéologiques.
Dans la première catégorie, après l’homicide, on a vu s’imposer les mots parricide (ainsi que le peu usité matricide) : jusqu’en 1832, le coupable condamné à mort d’un tel crime avait le poing tranché, avant la tête si l’on ose écrire. Le terme infanticide, ancien lui aussi, fut complété par le filicide (meurtre de son propre enfant) et encore plus récemment par le néonaticide (homicide d’un enfant de moins de un jour). Quant au fratricide, ce mot apparaît aux alentours de 1450. On aura une pensée spéciale pour l’uxoricide, meurtre d’une femme par son mari, dont on se demande pourquoi il ne fut pas rétabli dans l’usage plutôt que le féminicide réclamé, et déjà utilisé, de nos jours.
Ce prolifique suffixe ‘’cide’’ a aussi été beaucoup utilisé pour qualifier des crimes relevant du collectif : c’est le déicide de l’église catholique jusqu’au concile de Vatican II, rendant responsable les juifs de la mort du Christ ; c’est le concept de tyrannicide, admis par Saint-Thomas-d’Aquin, autrement dit la justification morale de l’assassinat d’un despote, encore invoqué en France en 1962 lors des attentats de l’OAS contre le général De Gaulle ; ce sont les régicides, meurtres de souverains comme chez nous Henri III (1589), Henri IV (1610), Louis XVI (1793) et en Angleterre Charles Ier (1649), plus près de nous en Russie Nicolas II (1918), Fayçal d’Arabie (1975)… Quant au populicide néologisme forgé par Gracchus Babeuf en 1794 pour qualifier les massacres de la guerre de Vendée, il redevient utilisé par certains historiens estimant qu’il n’y a pas eu de génocide au sens juridique du terme lors de la répression de la révolte des chouans.
C’est au juriste Raphaël Lemoine que l’on doit l’invention du mot génocide, en 1944. Quatre ans plus tard, l’Assemblée générale de l’ONU adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide et en 1998, le Statut de Rome consacrait la fondation de la Cour pénale internationale.
Le crime d’écocide, dont la Convention citoyenne pour le climat française a proposé l’adoption par référendum ces derniers jours, a failli être intégré dans la Convention sur le génocide de l’ONU au XXe siècle. Si ce terme venait à être consacré en étant institutionnalisé, on s’éloignerait quelque peu de la conception traditionnelle des mots avec le suffixe ‘’cide’’, homicide de personnes physiques. Mais après tout, avec le mot liberticide, apparu dans notre langue en 1791, et depuis utilisé à tort et à travers, avec une recrudescence de nos jours, n’est-on pas dans cette logique extensive ?
Dans la foulée donc, on s’attend à d’autres propositions: policide, esclavicide, manifestanticide, discriminaticide…