Chronique du jeudi 18 juin 2020

 

STATUES

 

« La statue est toujours à la même place, Eugène Sue me regarde, je t’aime… » dictait dans un sketch de 1950, Yves Montand à une opératrice téléphonique (incarnée par la voix de Simone Signoret) pour l’envoi d’un télégramme. Ces derniers temps à l’inverse, d’autres statues, aux États-Unis notamment mais le mouvement gagne l’Europe, d’autres statues donc ne sont plus à la même place, déboulonnées ou déménagées préventivement dans des musées. Aux dernières nouvelles, le buste d’Eugène Sue (l’auteur des Mystères de Paris) sculpté par Théo Giordan et inauguré en 1954 par Montand et Signoret à La Colle-sur-Loup (Alpes-Maritimes) n’a pas été déboulonné…

 

Christophe Colomb, des généraux confédérés, aux États-Unis ; Léopold II en Belgique ; Édouard Colston (marchand d’esclave) en Angleterre ; Victor Schœlcher à la Martinique et l’on en passe : leurs statues ont fait les frais de violentes protestations antiracistes nées de la mort de George Floyd. Celles de Colbert, initiateur du Code noir au XVIIe siècle, font l’objet de menaces… D’ici à ce que l’on s’en prenne à celles de Bugeaud, dont les méthodes utilisées pour ‘’pacifier’’ l’Algérie au XIXe siècle en indignèrent et en indignent encore plus d’un aujourd’hui, on pense aux enfumades dans les grottes, aux colonnes infernales… Il en est de même pour les statues d’un autre officier général, Gallieni qui, lui, sévit à Madagascar.

L’érection de statues, de divinités à l’origine, ce fut de tous les temps. Leur destruction lors de contestations pour diverses raisons aussi. Les représentations des ‘’idoles’’ (comprenez le panthéon des dieux gréco-romains dans l’Antiquité) furent sacrifiées lorsque le christianisme devint la religion officielle dans l’Empire romain, tout comme les statues des saints catholiques détruites par les protestants au XVIe siècle et plus près de nous les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan canonnés par les talibans en 2001 : autant d’exemples de motivations religieuses à ces destructions. Destructions de statues encore pour des motifs économiques : on est en France durant l’occupation allemande (1940-1944), il s’agissait de récupérer des métaux en période de pénurie. Destructions de statues enfin pour des motifs idéologiques, comme la colonne Vendôme surmontée d’une statue de Napoléon à Paris par la Commune le 26 mai 1871, la mise à bas dans les années 1950 des statues de Staline (la dernière en date ce fut plus récemment, à Gori sa ville natale le 25 juin 2010) ou encore en Irak celle de Saddam Hussein en avril 2003. Et l’on aura garde d’oublier la période révolutionnaire chez nous à la fin du XVIIIe siècle : un exemple parmi d’autres, la statue de Louis XIV sur la place Bellecour à Lyon abattue en août 1792.

L’absurdité de ces destructions est double : c’est à la fois l’expression de l’inanité de vouloir effacer le passé, un déni si l’on préfère ; c’est surtout la privation d’une démarche souhaitable de mémorisation destinée à combattre la résurgence de comportements dont on souhaite éviter le retour : vaut-il mieux emmener des collégiens à Auschwitz où leur faire abattre une statue d’Hitler (si tant est qu’il en existe encore) ?

Et puis, dès lors que l’écologie a le vent en poupe, on terminera sur une note d’humour. Car, paraît-il, la ligue des pigeons canal historique, à ne pas confondre avec la ligue de protection des oiseaux, de création humaine cette dernière, envisage une démonstration de force, inspirée du film d’Hitchcock, Les Oiseaux, afin de faire cesser les attaques contre leur écosystème dont les statues constituent un élément essentiel. Et ils comptent bien relancer à cette occasion le débat sur l’installation des systèmes métalliques discriminants de piques sur les corniches et bases de statues mettant en péril leur droit légitime à l’occupation du domaine public, consacré par une occupation séculaire. Que va décider le Conseil d’État ?

Denis Tardy

 

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