Chronique du jeudi 5 mars 2020

 

BÉ A BA

 

Le cinéaste Roman Polanski et son film J’accuse ; Jean Vanier et le mouvement l’Arche ; la réforme des retraites et le système universel de répartition par points : autant ‘’d’affaires’’ d’actualité douloureuses et clivantes dont on se demande (pas vraiment soyons honnête…) si l’une des leçons à en tirer est qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Un bé à ba à opposer aux savonaroles de tout poils.

 

L’ennui avec un bel outil, c’est qu’il peut être dévoyé : prenez une lime par exemple, outil indispensable dans le travail du fer, et bien c’est avec une lime que l’archiduchesse Elisabeth (dite Sissi) fut poignardée à mort sur le pont du Rhône à Genève en 1898. Avec Internet, c’est la même chose: un bel outil d’échanges et de diffusion de connaissances, mais qui a donné naissance aux réseaux sociaux et à leur usage massif, faisant remonter à la surface les égouts des billevesées humaines, et créant l’économie florissante du big data. Pas sûr que Mark Zuckerberg ait lu Tartuffe

Ces derniers temps, on a eu l’illustration non seulement de ce que ce phénomène s’installe durablement hélas, mais surtout de ses conséquences, le martèlement-façonnement de l’opinion aux fins de créer des ‘’scandales’’, là où il n’y en a pas. Prenons le cinéaste Roman Polanski : qu’il ait eu une vie sexuelle parfois condamnable, sans doute ; qu’il se soit soustrait à la justice des États-Unis bien sûr ; mais qu’il ait réalisé un film remarquable, J’accuse, bénéficiant d’un très bel accueil critique, et de plus plébiscité par le public (1,5 millions d’entrées du 13 novembre au 31 décembre de l’année dernière) n’est pas niable. De plus, un film ce n’est pas l’œuvre d’un seul homme mais d’une équipe, pléthorique au reste dans ce cas. Prétendre ‘’tuer’’ une œuvre, un film, parce que son instigateur principal a eu un comportement sexuel blâmable, c’est jeter le bébé avec l’eau du bain. Et se priver par exemple, de faire comprendre à des jeunes ce qu’a été l’Affaire Dreyfus, une vrai affaire celle-là, et dont l’enseignement ne peut être que salutaire.

Même processus, mais un peu moins médiatisé peut-être, avec les révélations sur les turpitudes sexuelles de l’emblématique Jean Vanier, l’un des fondateurs de cette très belle œuvre l’Arche, au bénéfice des personnes handicapées mentales. Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain, l’Arche de tous les dévouements avec Jean Vanier (décédé en 2019 il ne pourra pas répondre au reste à la justice) ?

Quant à la réforme des retraites proposée par le président de la République en 2019, elle aussi s’inscrit dans la même logique illogique : personne de bonne foi ne peut contester que vouloir réduire les inégalités par un système universel de répartition par points, qu’un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous, sont de bonnes choses et constituent une amélioration de l’existant. Dès lors, refuser tout système de retraite universel à points par répartition à la faveur d’un texte mal ficelé, c’est bien encore une fois jeter le bébé avec l’eau du bain.

On frémit rétrospectivement au sort des florentins du Quattrocento si Savonarole avait disposé des réseaux sociaux…

Denis Tardy

 

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