EPIDEMIO¹
Marseille et sa région renouent ces derniers jours avec leur lointain passé sanitaire. Elles accueillent à Carry-le-Rouet les rapatriés de Chine où sévit le coronavirus. Pour une quarantaine de… quatorze jours. L’occasion d’évoquer le Lazaret d’Arenc, fondé en 1663 et disparu au XIXe siècle, mais aussi, bien avant, la terrible épidémie de peste noire, pandémie plutôt, atteignant notre pays via Marseille en novembre 1347 ; ou encore l’épidémie de peste de 1720 propagée par la cargaison du ‘’Grand Saint-Antoine’’ ; sans oublier l’épidémie de choléra de 1832 consubstantielle au Hussard sur le toit de Jean Giono.
Disparu lors de l’aménagement des nouveaux ports de Marseille au XIXe siècle, le Lazaret d’Arenc fondé au XVIIe (1663) était dédié aux quarantaines, et avait succédé à d’autres établissements de ce type, prévus pour l’isolement des voyageurs malades et contagieux et le stockage des cargaisons suspectes dès 1526, voire 1477, à l’imitation de l’action de la République de Venise et de son célèbre Lazzaretto Vecchio, bâtiment conservé, lui.
L’une des plus importantes catastrophes sanitaire de tous les temps, la peste noire du milieu du XIVe siècle, à l’origine de la mort de 30 à 50 % de la population européenne de l’époque (1347-1352), est en grande partie à l’origine de ces ‘’stratégies’’ d’isolement pour enrayer de tels fléaux. La peste noire aborda le royaume de France via Marseille en novembre 1347, gagna Avignon, Montpellier, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Perpignan fin mars 1348, puis Bordeaux et de ce port contamina l’Angleterre en juin 1348. Toute l’Europe fut ravagée. Et alors que se déroulait la guerre franco-anglaise improprement qualifiée de Cent ans, pourquoi ne pas souligner que les victimes des opérations militaires furent sans commune mesure avec celle de la peste noire… comme aux débuts des années 1920 la grippe espagnole fit deux ou trois fois plus de morts que la Première Guerre mondiale (entre 50 et 100 millions de morts selon les estimations).
Marseille c’est aussi la quarantaine du bateau ‘’Le Grand Saint-Antoine’’ à partir du 25 mai 1720 (date de début de la dernière grande épidémie de peste en France) et les entorses faites à la règlementation pour des raisons mercantiles : l’épidémie dura jusqu’à août 1722, et fit entre trente et cinquante mille morts à Marseille et alentours (la ville avant 1720 comptait quatre-vingt-dix mille habitants).
Quant à l’épidémie de choléra en Provence (ailleurs aussi) de 1832, au cœur du célèbre roman de Jean Giono Le Hussard sur le toit (1951), elle aurait fait autant de morts à Paris qu’à Marseille (dix-neuf mille victimes en six mois dans chacune des deux villes).
Faut-il rappeler qu’avec le coronavirus on est très loin de la cascade de chiffres que l’on vient d’évoquer, et cela d’autant plus que la population mondiale était d’environ quatre cents millions en 1250, de six cents millions en 1700, d’un milliard un siècle plus tard, de deux milliards en 1930, la suite on la connaît.
On aura in fine une pensée reconnaissante pour Alexandre Yersin (1863-1943), qui découvrit en 1894 le bacille de la peste et pour Paul-Louis Simond (1858-1947) qui quatre ans plus tard démontrera le rôle de la puce du rat dans la transmission de la peste. Ironie de l’histoire, l’épidémie actuelle de coronavirus s’emballe alors que débute pour les chinois l’année du… rat.
Denis Tardy
1- Épidémie en langue provençale