FILMS
Le quotidien Le Figaro du 14 février 1898 publiait deux dessins de Caran d’Ache qui résument plus qu’un long discours ce que fut l’affaire Dreyfus comme ferment de division de la société française. Intitulé un dîner en famille, le premier dessin représente une joyeuse tablée avec la légende : « Surtout ne parlons pas de l’affaire Dreyfus »… le deuxième dessin mettant en scène les mêmes convives qui s’étripent, sous-titré : « Ils en ont parlé ». Un peu plus de 120 ans après, le film J’accuse, consacré à la même affaire, déchaîne passions et horions pour d’autres raisons. Ce n’est pas la première fois que le cinéma provoque des querelles : des films comme Les Bérets verts de John Wayne (1968), Le Blé en herbe de Claude Autant-Lara (1954), La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo (1966) ou encore Le Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci (1972), voire La Religieuse (1967) ont aussi provoqué des controverses. ?
Sexualité et guerre, ce sont avec ces deux thèmes que depuis une bonne soixantaine d’années des films provoquent scandales, protestations, censure parfois… Le cas du film L’Affaire Dreyfus de Roman Polanski s’ajoute donc à une longue liste de films ayant suscité de très fortes réactions… sauf que dans les exemples que l’on va citer, c’était le sujet du film qui entraînait la contestation, pas la vie de l’homme qui l’avait fait.
Tout autant que le roman de Colette de 1923, le film qu’en tira Claude Autant-Lara, Le Blé en herbe, tourné durant l’été 1953, fit scandale, le Cartel d’action morale et sociale de Paris évoquant « des répercussions morales néfastes que ne pourraient manquer d’avoir un tel film sur l’ensemble de la jeunesse de notre pays ». Pour autant, le film ne fut pas interdit, à l’inverse de ce qui se passa pour Suzanne Simonin, la Religieuse de Diderot de Jacques Rivette : ce n’était pas l’Église catholique à proprement parler, mais l’Union des supérieures majeures de France qui protesta, écrivant au ministre de l’Information de l’époque en 1965, Alain Peyrefitte, pour signaler « un film qui déshonore les religieuses ». Son successeur, Yvon Bourges, interdira en 1966 la distribution et l’exportation du film. Un an plus tard, la Justice annula la décision et le nouveau ministre de l’information autorisera la sortie avec l’interdiction aux moins de18 ans. Quant au film Le Dernier tango à Paris, sorti en salle en 1972, il fut interdit aux moins de 18 ans, interdit en Italie, classé comme pornographique dans d’autres pays… l’actrice Maria Schneider elle-même assimilant plus tard une des scènes à un viol quand bien même il s’agissait de simulation. Viols, ce qui est reproché à Roman Polanski ces dernières semaines.
La guerre, après la sexualité, c’est la deuxième thématique des films source de scandales : en 1957, la sortie des Sentiers de la gloire réalisé par Stanley Kubrick, consacré à des épisodes révoltants de la guerre de 14-18 se heurte aux protestations du gouvernement français ; il ne sera pas diffusé en France et dans plusieurs pays européens. Un autre film anti militariste Ah Dieu! que la guerre est jolie de 1969, consacré lui aussi à la Première Guerre mondiale, n’a pas connu le même sort ; parce que dix ans séparent les deux films ? En tout cas Les Sentiers de la gloire obtinrent le droit d’être projeté en France en 1975. Prenant ouvertement le parti de la légitimité de la guerre du Viêt Nam menée par les États-Unis, le film Les Bérets verts de John Wayne, qui n’a jamais caché être ‘’patriote’’, lui aussi déchaîna les manifestations d’opposants en 1968. Quelques années auparavant, le film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo tourné en 1965 resta censuré en France jusqu’en 2004… mais fut utilisé par des états-majors pour sensibiliser leurs cadres à des interventions militaires au Proche Orient… Ce qui nous ramène à l’état-major français de la fin du XIXe siècle et à l’affaire Dreyfus.
On connaît la volonté, durant ces derniers jours, de mouvements féministes de tenter d’empêcher les projections du film de Roman Polanski, accusé, mais pas jugé, de crimes sexuels. Comparaison n’est pas raison, mais dans les années 1950 aux États-Unis, un certain Caryl Chessman, voleur et violeur, fut condamné à mort et pendant douze ans attendit dans le ‘’couloir de la mort’’, partie de la prison où séjournaient les détenus en attente de leur exécution. Il écrivit alors quatre livres qui connurent un très grand succès, pas seulement aux États-Unis, sans que leur diffusion soit entravée. Et puis on vient d’apprendre qu’un film, Le Meilleur reste à venir doit sortir prochainement, dont l’un des acteurs est lui aussi accusé (sans avoir été jugé) de turpitudes sexuelles.
Effectivement, dans cette époque renversante, le meilleur reste à venir !
Denis Tardy