Chronique du jeudi 10 octobre 2019

 

SUICIDES

 

Des policiers qui, depuis le début de l’année, se suicident par dizaines, des agriculteurs aussi et Christine Renon qui en a fait de même : cette directrice d’école maternelle de la région parisienne a provoqué un émoi certain récemment compte tenu de l’explication qu’elle a fourni à son geste. Autant de suicides dépassant la seule situation individuelle pour alerter sur des dysfonctionnements dans la société ou afin de peser sur des décisions lourdes de conséquences pour tous. Il y en a déjà eu dans le passé, qu’il s’agisse de Jan Palach en janvier 1969, de Stefan Lux en juillet 1936 ou encore des républicains irlandais emprisonnés en 1981. Mais le fait qu’en France aujourd’hui ces vagues de suicides concernent autant de catégories sociales différentes, confrontées à des problématiques n’ayant rien à voir les unes avec les autres interroge.

 

La forte augmentation du nombre de suicides de policiers en France (quarante-huit entre janvier et septembre de cette année) ont conduit les syndicats de policiers à organiser une ‘’marche de la colère’’ début octobre. Une mobilisation historique, il faut remonter à 2001 pour trouver une manifestation comparable. Sans mésestimer la pluralité de facteurs qui conduisent le plus souvent une personne à mettre fin à ses jours, l’ampleur du phénomène des suicides ‘’catégoriels’’ dans notre pays (alors que le nombre total de suicides connait une légère baisse ces dernières années) pourrait bien relever d’une démarche dépassant la stricte situation individuelle et pointant des problèmes collectifs majeurs, dans ce cas au sein des services de police.

‘’Suicides-alerte’’ également dans l’actualité avec la surmortalité par suicide chez les agriculteurs par rapport au reste de la population. Certaines sources évoquent deux suicides par jour. Et puis il y eu le suicide de Christine Renon, « directrice épuisée », selon ses termes, le 21 septembre dernier, la lettre qu’elle a laissé témoignant de problèmes structurels dans l’organisation de la direction des écoles de petite taille.

Certains se souviennent peut-être de Jan Palach s’immolant par le feu sur la place Venceslas à Prague le 16 janvier 1969 pour protester contre l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie; ou encore de Stefan Lux qui, en juillet 1936, s’est suicidé en pleine séance de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU) pour alerter sur les périls qu’allaient faire courir l’antisémitisme allemand. On peut aussi citer la grève de la faim conduisant à leur décès des membres de l’IRA (Armée républicaine irlandaise) en 1981, Bobby Sands et dix de ses camarades trouvant la mort face à l’intransigeance de Margaret Thatcher. Autant de suicides inspirés par des préoccupations dépassant leur situation personnelle.

Assiste-t-on dans notre pays à une généralisation du recours à cette forme de lancement d’alerte, ou bien alors, les nouvelles technologies de communication déforment-elles la perception d’évolutions sociétales au point d’en fausser l’analyse ?

Denis Tardy

 

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