GRANDES GUEULES
Le procès de Jean-Luc Mélenchon et de ses copains insoumis ces derniers jours, pour s’être rebellés contre des perquisitions permet, vu sous un certain angle, de se consoler de l’affligeant spectacle des réseaux sociaux sur lesquels des milliers (des millions ?) de personnes se défoulent quotidiennement, avec injures et vindicte sans limites et le plus souvent anonymement. Car des grandes gueules se sont exprimées sans masque lors de ce procès ; deux grandes gueules pour être précis : l’avocat Éric Dupont-Moretti et le ci-devant Mélenchon. C’est vrai que l’actualité, ces derniers temps, illustre que les grandes gueules ont le vent en poupe, Donald Trump et chez nous il y a bien plus longtemps Jean-Marie Le Pen, ayant ouvert la voie à des Boris Johnson, Matteo Salvini et autres consorts… dont on souhaiterait qu’ils rentrent dans le rang.
Talleyrand et son célèbre aphorisme « Ce qui est excessif ne compte pas » ne sont plus à l’ordre du jour depuis un certain temps, avec les torrents de boue véhiculés par les réseaux sociaux, avec aussi ces personnalités publiques dont les discours, et les actes parfois, charrient la haine, la violence, sèment la discorde et la division.
Chez nous, en France, on a renoué avec le style grande gueules ‘’grâce’’ à Jean-Marie Le Pen, style s’avérant productif si l’on se souvient du score de l’élection présidentielle de 2002. Depuis, un de nos anciens présidents, Nicolas Sarkozy, n’a pas démérité dans le registre grande gueule.
L’élection présidentielle aux États-Unis de 2016 aussi a consacré l’émergence d’une grande gueule. En parfaite adéquation avec l’essor du numérique et ses tragiques dérives. Ses tweets matinaux complètent ses envolées de discours électoraux typés grande gueule.
Ils n’en mourraient pas tous mais tous étaient frappés: Matteo Salvini en Italie lui aussi pourrait concourir avec quelques chances de médaille aux Jeux olympiques des grandes gueules. Tout comme Boris Johnson, dont les saillies affligeantes et souvent grossières laissent pantois.
Dans un tel contexte, l’affrontement entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Dupont-Moretti, deux grandes gueules lors du procès du premier la semaine dernière ne constituait qu’une étape de plus dans la mise sur orbite des grandes gueules qui nous est promise si l’on n’y met pas un coup d’arrêt.
Nos usages linguistiques ces dernières années nous conduisent à un usage immodéré de la litote. Ainsi, un exemple parmi beaucoup d’autres, évoque-t-on un risque léthale plutôt qu’un danger de mort. Et l’on qualifie de populisme le comportement des grandes gueules. Une façon de les rendre fréquentables prélude à leur légitimation ?
On aurait plutôt envie, trivialement, de dire par exemple à Boris Trump et à Donald Johnson : « Shut up! », et faire ce qu’il faut pour qu’ils la ferment.
Denis Tardy