MÉMOIRES
C’est le dernier avatar de mémoires présidentiels qui vient de paraitre ; même si l’auteur prétend que Passions ne relève pas du genre, l’ouvrage de Nicolas Sarkozy y ressemble furieusement. Des mémoires d’anciens présidents de la République, les rayons des bibliothèques n’en manquent pas ; on songe aux nombreux volumes d’Au service de la France de Raymond Poincaré, président durant la Première Guerre mondiale, ou à ceux de Vincent Auriol, Journal d’un septennat, publié par Pierre Nora et Jacques Ozouf. On s’est contenté de revenir sur les présidents de la V° république, et les souvenirs qu’ils ont rendus publics, parfois prémonitoires ou encore d’actualité comme en témoignent les citations que l’on a retrouvé.
Charles de Gaulle avait déjà, avant d’être le premier président de la Vème république, livré les trois tomes de ses Mémoires de guerre (1940-1946) en 1954, 1956 et 1959. Tout naturellement après son départ du pouvoir en 1969, il entama la rédaction de Mémoires d’espoir dont le premier volume parait en 1970 : intitulé « le Renouveau« , ce premier tome est consacré à la période 1958-1962. Son dècès interrompit l’oeuvre, un deuxième tome inachevé paraissant toutefois en 1971. Joli titre que Mémoires d’espoir pour celui qui avait écrit un jour La fin de l’espoir est le commencement de la mort. De Gaulle avait aussi prétendu que tout homme qui écrit – et qui écrit bien – sert la France. Sans doute n’avait-il pas oublié que le président de la République est le protecteur de l’Académie française.
Ses successeurs ont du mémoriser la citation ci-dessus : pas un n’a échappé à la tentation de « Mémoires« , à commencer par Georges Pompidou (dont le cinquantenaire de son élection a récemment été célèbré par Emmanuel Macron). Son « Noeud gordien » fut publié peu de temps après sa mort, en 1974. Face à l’évolution vers toujours plus de complexité de la société française (que dirait-il de la situation actuelle !) il estimait qu’un dirigeant de notre pays devrait trancher (comme Alexandre le célèbre noeud) et il ajoutait : Il s’agit de savoir si ce sera en imposant une discipline démocratique garante des libertés ou si quelque homme fort et casqué tirera l’épée… Une analyse plus que jamais d’actualité avec la montée des populismes.
Le troisième président de la Ve république, Valéry Giscard d’Estaing attendit 1988 pour publier le premier tome de ses mémoires, Le Pouvoir et la vie, portant sur les années 1974-1976. Intitulé La Rencontre, ce livre fut suivi en 1991 par L’Affrontement consacré aux années 1976-1978 et enfin par Choisir en 2006, évoquant les années 1978 à 1981. Outre ses mémoires, VGE inaugura la pratique de publier durant son mandat un ouvrage politique, Démocratie française en 1976, démarche qui en définitive n’a pas réussi à le faire réélire. François Hollande l’avait-il oublié lorsqu’il inspira par ses rendez-vous réguliers avec des journalistes Un Président ne devrait pas dire ça, paru en 2016, qui contribua à sa chute ? VGE dit notamment dans Le Pouvoir et la vie : La France n’est pas un pays de réformes, c’est un pays de nouveautés. Un message pour Emmanuel Macron ?
Les mémoires du quatrième président de la Ve république, comme leur titre l’indique, furent interrompus par la mort de François Mitterrand, comme ceux de De Gaulle son grand rival. Parus en 1996, ces Mémoires interrompus bénéficièrent de la collaboration honnêtement affichée de Georges-Marc Benamou. Une citation ayant quelque valeur pour aujourd’hui : Je crois pour demain comme pour hier à la victoire de la gauche. À condition qu’elle reste elle-même. Qu’elle n’oublie pas que sa famille, c’est toute la gauche. Hors du rassemblement des forces populaires, il n’y a point de salut. La dizaine (voire plus) de listes de gauche aux dernières élections européennes, et les résultats, ont bien démontré la justesse de l’analyse.
Jacques Chirac, le cinquième président de la cinquième république lui aussi a bénéficié d’un collaborateur pour ses mémoires intitulés Chaque pas doit être un but paru en 2009 et Le Temps présidentiel en 2011, Jean-Luc Barré. Faute avouée à moitié pardonnée ? De Jacques Chirac on retiendra peut-être une phrase plus que jamais d’actualité prononcée au Sommet de la terre de Johannesbourg en septembre 2002 : Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploité ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l’admettre.
Sixième président de la Ve république de 2007 à 2012, Nicolas Sarkozy aura attendu ces derniers jours pour publier Passions, livre qui comme du Canada dry a la couleur de mémoires, le goût de mémoires, mais ne serait pas des mémoires… parait-il. Une citation à retenir de cet ‘’animal politique’’, sacrément bien observée et toujours d’actualité : Celui qui a le plus petit pouvoir peut empêcher de faire une petite chose, mais avoir le plus grand pouvoir ne permet pas (toujours?) de faire une petite chose. C’est nous qui avons rajouté la parenthèse optimiste… dans ce propos datant de décembre 2008.
Avec François Hollande, septième président de la Ve république, mis dans l’impossibilité de se représenter à un second mandat entre autre par un livre (Un président ne devrait pas dire ça), on a assisté à un ‘’rétablissement’’ avec un autre livre s’apparentant à des mémoires Les leçons du pouvoir, paru en avril 2018. Un important succès d’édition (plusieurs centaines de milliers d’exemplaires). Une citation d’actualité ? Être dans l’actualité, ce n’est pas être dans la vie. Une phrase que pourra reprendre Emmanuel Macron dans ses futurs mémoires lorsqu’il évoquera la crise des gilets jaunes…
Denis Tardy
PS : On devait bien à nos lecteurs une chronique plus longue que d’habitude en cette période de début de vacances, temps propice à la lecture…