FORCES PUBLIQUES
« 22 juillet 1921 : les premières unités de ce qui deviendra la gendarmerie mobile (force spécialisée dans le maintien de l’ordre) font leur apparition, sonnant le glas ou presque du recours à l’armée en cas de manifestations et de troubles de l’ordre public. Le constat de l’inadaptation des militaires à ce type de mission n’est alors pas récent, des événements tragiques l’ont démontré, comme la fusillade de Fourmies (1er mai 1891), celle de La Ricamarie (16 juin 1869) ou encore la révolte des vignerons du Midi (premier semestre 1907). Depuis l’entre-deux-guerres, si l’on excepte les grèves de 1947, et outremer le cas très particulier de la guerre d’Algérie, les gouvernements se sont bien gardés de faire sortir l’armée de ses quartiers et casernes pour lui confier une tâche en dehors de ses compétences.
Certes la Garde nationale avait ses défauts (c’était une ‘’police’’ de classe, réservée aux couches aisées de la population) mais lorsqu’elle fut définitivement supprimée, en 1872, après avoir été mise sur la touche durant le Second empire, les pouvoirs publics ne disposaient plus d’instruments dédié au maintien de l’ordre. En cas de coup dur, on faisait appel à l’armée. Avec des conséquences tragiques.
Ainsi à Fourmies dans le Nord le 1er mai 1891 où la manifestation d’ouvriers en faveur de la journée de travail de 8 heures est réprimée très violemment : en plus du 84e régiment d’infanterie, les autorités ont acheminé des renforts du 145e régiment de ligne, des soldats armés du tout nouveau fusil Lebel ; en quarante-cinq secondes, neuf morts (dont quatre femmes) tous âgés de moins de vingt ans à l’exception d’un trentenaire sont à déplorer, ainsi qu’au moins trente cinq blessés. Le Lebel a fait merveille… pour paraphraser la déclaration célèbre concernant, elle, le fusil Chassepot, que l’on doit au général de Failly.
La République récente ne faisait pas mieux avec le drame de Fourmies que le Second empire. À La Ricamarie près de Saint-Étienne, la statue martiale de Michel Rondet sur la place devant la mairie rappelle l’horreur du 16 juin 1869, la fusillade du Brûlé où les soldats des 4e et 17e régiments d’infanterie tirent contre des proches de mineurs grévistes, faisant quatorze morts dont un bébé de dix-sept mois ; les militaires ont ouvert le feu sans ordre ni sommation, et achèvent des blessés à la baïonnette. Moins connue, la fusillade d’Aubin dans l’Aveyron, là encore à l’occasion d’une grève de mineurs, fera quatorze morts (dont un enfant de sept ans et deux femmes) ainsi que vingt-deux blessés le 6 octobre1869.
Des recrues jeunes, inexpérimentées et pas formées au maintien de l’ordre, parfois issues des territoires où ils doivent intervenir : on retrouve ce ‘’cocktail’’ avec les événements liés à la révolte des vignerons du Languedoc (provoqués par une crise de surproduction) en 1907. Après une succession de manifestations monstres (plusieurs centaines de milliers de participants), du 11 mars au 9 juin, la tension s’exacerbe. Vingt-deux régiments d’infanterie, douze de cavalerie soit plus de trente-mille militaires sont sur place. Le 19 juin, la cavalerie tire sur la foule à Narbonne faisant deux morts dont un adolescent. De nouveau le lendemain la troupe tire : cinq morts dont une jeune fille de vingt ans et trente-trois blessés sont à déplorer. Une fusillade qui incitera environ cinq-cent soldats du 17e régiment d’infanterie (composé de conscrits du bitterois) à mettre ‘’crosse en l’air’’ et à fraterniser avec les manifestants de Béziers le 21 juin. Une mutinerie restée célèbre.
L’armée ne sera plus utilisée pour le maintien de l’ordre, de façon significative, jusqu’en 1947. Les grèves de grande ampleur de cette année-là, à partir d’avril, inciteront le ministre de l’Intérieur de l’époque, le socialiste Jules Moch, à faire appel à l’armée en particulier au 11e régiment parachutiste de choc, en renfort des CRS qui, créés en décembre 1944, connaissent leur baptême du feu. Une armée réticente : en témoigne à Saint-Étienne des officiers refusant de faire tirer sur les manifestants… qui vont s’emparer d’armes de soldats après s’être juché sur des automitrailleuses !
À chacun son métier…
Denis Tardy