AMACHRONISMES
Quand on touche à la mémoire nationale, et Dieu sait si la guerre de 14-18 en constitue un des socles, mieux vaut y aller avec des pincettes : le terrain est miné si l’on ose écrire… Parce que 100 ans après le son des clairons du 11 novembre, à 11 heures du matin, rites, manifestations et initiatives diverses ont déposés des couches de mémoires sur la Mémoire de cette Première Guerre mondiale. D’où la difficulté de l’exercice pour notre président de la République. On a bien compris le sens qu’il voulait donner à sa tournée mémorielle sur le front des tranchées du nord et de l’est de la France, soulignant ainsi que c’est la France des territoires, la France paysanne (44 % de la population vit de la terre alors) qui fut le fer de lance de la victoire. En revanche, ce parcours mémoriel du président de la République a ignoré le reste des opérations, on pense notamment à l’Orient, les Dardanelles, Gallipoli. Mais pouvait-il parcourir tous les champs de bataille de l’Europe ?
En revanche le choix d’honorer les écrivains ayant participé aux combats, morts ou pas, et spécialement Maurice Genevoix (1) qui va être panthéonisé, et d’honorer en même temps « Ceux de 14 » titre d’une de ses oeuvres, interroge et à deux titres.
En ce qui concerne les « Ceux de 14 » tout d’abord : « Je souhaite que l’an prochain « Ceux de 14 », simples soldats, officiers (étonnant, les sous-officiers ont été oubliés dans le discours présidentiel), engagés, appelés, militaires de carrière, sans grade et généraux, mais aussi les femmes engagées auprès des combattants – car « Ceux de 14 » ce fut aussi « Celles de 14″ – , toute cette armée qui était un peuple, tout ce grand peuple qui devint une armée victorieuse, soit honoré au Panthéon » a déclaré Emmanuel Macron, oubliant qu’au Panthéon justement, »Ceux de 14″ y sont déjà : La loi du 25 octobre 1919 relative à la commémoration et à la glorification des combattants morts pour la France au cours de la Grande Guerre spécifie en effet dans ses deux premiers articles, qui gagnent à être cités dans leur intégralité, les dispositions suivantes :
– Article 1: « Les noms des combattants des armées de terre et de mer ayant servi sous les plis du drapeau français et morts pour la France, au cours de la guerre 1914-1918, seront inscrits sur des registres inscrits au Panthéon. »
– Article 2 : « Sur ces registres figureront, en outre, les noms des non-combattants qui auront succombé à la suite d’actes de violences commis par l’ennemi, soit dans l’exercice de fonctions publiques, soit dans l’accomplissement de leur devoir de citoyen. »
Si cette dernière phrase n’englobe pas tous les « Ceux et Celles de 14 » il faudrait nous l’expliquer.
Pour les écrivains au Panthéon aussi, le président de la République nous recycle de « l’ancien monde » sous la logorrhée de son « nouveau monde ». En effet, et pour cause puisqu’il est mort en septembre 1980 en Espagne, Maurice Genevoix n’est pas honoré au Panthéon sur les plaques de marbre recensant les noms des 560 écrivains morts pour la France durant le conflit de 1914-1918. Un prédécesseur d’Emmanuel Macron, Gaston Doumergue, honora leur mémoire le 15 octobre 1927 au Panthéon. Des plaques de marbre existent bel et bien. Dès lors, il ne reste plus à notre président de la République que de préparer, pour le centenaire du Traité de Versailles, véritable clôture de la guerre de 14-18 (28 juin 2019) une initiative inédite et surtout porteuse de sens. En évitant les « amachronismes », contraction, on l’aura compris, d’amateurisme et d’anachronisme.
Denis Tardy
(1) Sachant qu’en plus des écrivains combattants comme Maurice Genevoix qui ont laissé des témoignages capitaux sur ce conflit sans y avoir laissé leur vie sont légion : on pense à Dorgelès (Les croix de bois) ou encore à Chevalier (La peur) et beaucoup d’autres.