Chronique du jeudi 1 février 2018

 

DÉLATION

 

Peu de pays ont échappé, à un moment ou à un autre de leur histoire, à des « prurits de délation », le plus souvent justifiés (ou bien alors « habillés » hypocritement) par de fallacieux prétextes de défense de la nation.Certaines de ces périodes ont marquées l’histoire mondiale depuis la fin du XVIIIe siècle. La nouveauté ? La délation est aussi gagnée par la mondialisation.

 

La délation ? Aussi vieille que le monde. Dans l’antique Athènes, le système juridique ne prévoyait pas de ministère public chargé de l’accusation ; un rôle tenu par des citoyens appelés sycophantes qui se chargeaient de dénoncer les crimes et percevaient, si l’accusé était condamné par le tribunal, une partie de l’amende versée par cet accusé. À Rome il y a 2000 ans, les delatores pouvaient entrer en possession des biens de ceux qu’ils avaient dénoncés.

Dans notre pays, sous la Terreur (1793-1794), la délation envers les « ennemis de la République » tiendra une place non négligeable, au nom de la « Patrie en danger », sans cesser au reste après la chute de Robespierre en août 1794, « l’arme » de la délation se retournant alors contre les Montagnards déchus.

Un processus que l’on retrouvera avec le Régime de Vichy (1940-1944) puis lors de l’Épuration qui suivit. Durant cette même période et même avant, la délation fonctionna à plein régime dans l’Allemagne nazie, dans l’URSS de Staline, fortement encouragée par ces régimes totalitaires, caractéristique de ce type de gouvernement; avec les abominables conséquences à la clef de millions de vies humaines sacrifiées.

Des démocraties aussi ont été gangrenées par la délation. Il n’est que de rappeler le Maccarthysme aux Etats-Unis entre 1950 et 1954, cette « Chasse aux sorcières » déclenchée par le sénateur Joseph Mc Carthy avec en ligne de mire les communistes (réels ou supposés) et les homosexuels. Albert Einstein évoquera le Maccarthysme comme « un danger incomparablement plus grand pour notre société que quelques communistes peuvent l’être pour elle ».

Comparaison n’est pas raison. Mais la vague de délation qui submerge actuellement les démocraties occidentales ne laisse d’interroger. Tout simplement parce que (profonde transformation des techniques de dénonciation, nouveaux moyens de communication obligent) de telles dénonciations court-circuitent la décision judiciaire, le jugement étant déjà rendu au yeux d’un grand nombre ; et ruinent l’un des fondements de la démocratie, l’état de droit, autrement dit annihile ou presque le rôle de la justice garante des libertés individuelles et d’un jugement rendu « au nom du peuple français ».

Paradoxe : faut-il rappeler que dans les milieux criminels et de la pègre, le « code d’honneur » exclut la dénonciation…

Denis Tardy

 

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