ÉCRIVAINES
Dans le dernier carré, déjà, des écrivains sélectionnés pour le prix Goncourt finalement revenu à Éric Vuillard début novembre, figurait Alice Zeniter qui s’est retrouvée dans la même situation pour le prix Goncourt des lycéens qu’elle a, celui-ci, remporté pour son livre L’Art de perdre… qui lui a donc permis de gagner. Quant au prix Fémina, créé au début du XX° siècle en réaction contre le jury du prix Goncourt refusant d’attribuer leur prix à une femme, Myriam Harry, il a été décerné à un homme… Alors que que notre pays a confié le ministère de la Culture à une femme éditrice, il semblerait que dans la littérature, mot de genre féminin, les femmes évoluent dorénavant au même niveau que les hommes. Mais force est de reconnaitre qu’elles reviennent de loin.
Reniant leur pratique du début du siècle dernier, les jurés du prix Goncourt avaient cette année dans la dernière ligne droite sélectionné quatre livres, écrit respectivement par deux femmes et deux hommes ; à des années-lumière de ce qui s’était passé en 1904. Cette année-là le roman de Myriam Harry, La Conquête de Jérusalem, pourtant très remarqué et attendu comme lauréat du prix Goncourt, se trouva recalé, très probablement parce que son auteur était une femme ; il faudra d’ailleurs attendre 1944 et un roman d’Elsa Triolet pour qu’enfin le prix Goncourt couronne une femme. Toujours en 1904 et en réaction, le magazine féminin La Vie heureuse décide de la création d’un prix littéraire qui ne s’appelle pas encore Fémina, et dont le jury, présidé par Anna de Noailles la poétesse, n’est composé que de femmes : vous l’avez deviné, c’est Myriam Harry qui remporta ce premier prix d’une longue série. Mais sans sectarisme, le lauréat l’année suivante sera un homme, Romain Rolland, qui décrochera aussi le Nobel de littérature en 1915.
Au total, le jury du Fémina aura jusqu’à aujourd’hui distingué près d’une cinquantaine d’écrivaines, et celui du Goncourt un peu plus d’une dizaine à ce jour. Mais chez les Goncourt, on n’a pas hésité dès 1910 à accueillir dans le jury une femme (Judith Gautier) et à faire présider le jury, entre 1949 et 1954 par l’incomparable Colette… pour se faire pardonner de ne pas avoir donner le prix Goncourt à cette grande dame de la littérature ? Et aujourd’hui, trois femmes siègent au jury (Françoise Chandernagor, Paule Constant, Virginie Despentes) ; de plus c’est une femme, Marie Dabadie, qui est secrétaire générale de l’académie Goncourt, assistant à toutes les délibérations. D’une académie à l’autre : l’Académie Française, qui elle aussi décerne un grand prix du roman depuis 1914, avait couronné une femme dès 1918, Camille Mayran ; depuis onze autres ont été dans ce cas. Et sous la Coupole, à partir de 1980 siégeait une femme, Marguerite Yourcenar. Elle ne fut pas un cas unique, et elles sont quatre aujourd’hui, sachant qu’il y a six sièges à pourvoir. De plus c’est une femme, Hélène Carrère d’Encausse qui assure les fonctions de Secrétaire perpétuels… Perpétuel ou perpétuelle ?
Françoise Héritier vient de nous quitter. Elle avait rejoint les plus grands, enseignant au Collège de France. Elle aussi, par ses livres, a marqué son époque. En particulier par ses recherches sur la masculin et le féminin.
Le « plafond de verre » est-il aussi résistant qu’on veut bien le dire ?
Denis Tardy