Chronique du jeudi 2 novembre 2017

 

MAI 1968

 

L’un des slogans des « Événements » de mai 1968 : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi » n’est pas très loin de la rhétorique macroniste et des gens d’En Marche toujours prompts à dégainer l’argument suprême (« Vous nous critiquez car vous êtes de l’ancien monde opposé au nouveau monde que nous incarnons et préfigurons »). Dès lors, rien d’étonnant à ce que le président de la République veuille commémorer le cinquantenaire de mai 1968. Commémorer une révolution n’a rien de nouveau en France. Et à la fin du XIX° siècle, à la naissance de la III° République, un débat s’était déroulé afin de décider d’une fête nationale républicaine. Elle fut fixée, on la sait, au 14 juillet. Sans que l’on sache exactement ce que l’on commémore ce jour-là : la violence révolutionnaire de la Prise de la Bastille (1789) ou la concorde retrouvée de la Fête de la Fédération (1790). D’où la question : commémorer mai 1968, mais lequel ? Et accessoirement, pourquoi ?

 

Après un siècle, le XIX°, où les français goutèrent à a peu près tous les régimes politiques possibles, la III° République naissante se cherche des repères historiques pour fixer la date d’une fête nationale. Ce sera chose faite en 1880. Date retenue : le 14 juillet. La loi promulguée ne précise pas quel événement est ainsi commémoré : la prise de la Bastille, insurrection populaire violemment opposée à l’Ancien Régime monarchique ou bien alors la Fête de la Fédération organisée un an plus tard le même jour pour célébrer la réconciliation et l’unité retrouvée de tous les français… autour de son roi Louis XVI qui prête serment à la nation.
Un peu de la même façon, commémorer mai 1968 apparait ambivalent : s’agit-il de célébrer la « nuit des barricades » (10 mai, véritable émeute faisant des centaines de blessés dans les rangs des étudiants et des forces de l’ordre au Quartier latin à Paris) ou alors le défilé du 30 mai en soutien au général De Gaulle qui rassemble sur les Champs-Elysées à Paris plusieurs centaines de milliers de manifestants opposés à la contestation étudiante et ouvrière ?
S’agit-il de célébrer les Accords de Grenelle (27 mai) exemple de l’importance de la négociation dans la régulation des rapports sociaux ou alors les violents affrontements dans une usine de la Régie Renault de Flins (10 juin) entre grévistes et forces de l’ordre, un mort étant à déplorer ?
S’agit-il de rendre hommage aux victimes, et lesquelles : celles appartenant aux forces de l’ordre comme le commissaire René Lacroix tué lors d’une manifestation à Lyon ou alors à l’ouvrier de l’usine Peugeot de Sochaux-Montbéliard tué par un CRS ayant utilisé son arme de poing ? Contrairement à l’idée répandu en effet, les « Événements » de mai 1968 ont occasionnés plusieurs morts.
Et puis, on ne peut que s’interroger sur le manque de recul cinquante ans seulement après, beaucoup d’acteurs importants étant encore vivants, nuisant à une mise en perspective sereine de ce pan de notre histoire. Le choix du 14 juillet, c’était presque un siècle après…
De plus, la révolution de 1789 commémorée concerne la fin d’un régime politique ; que l’on sache les « Événements » de mai 1968 n’ont pas aboutis à la chute de la V° République.
Enfin et surtout, commémorer c’est contribuer à recoudre le tissu social, contribuer à la fédération du corps social autour d’une date marquante pour en faire un symbole d’union. Il ne viendrait à l’idée de personne de commémorer nationalement les guerres (civiles) dites de religion, c’est l’Édit de Nantes y ayant mis fin qui a été retenu. Et d’une certaine façon, bien que cette période ait été pudiquement baptisée « Événements », c’était bien de guerre civile qu’il s’agissait.

Denis Tardy

 

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