ZÈBRES
Le zèbre de Ferry (equus grevyi), vous connaissez ? Ce superbe animal aux fines rayures sauf sous le ventre, différence d’avec son cousin le zèbre commun, tient son nom d’un président de la République, le premier qui s’installa à l’Élysée et qui n’eut pas l’idée de laisser l’animal, lui ayant été offert en 1882 par le gouvernement d’Abyssinie, brouter dans le parc : après tout, les Labradors de ses lointains successeurs ont été et sont accueillis dans le palais présidentiel…
Jules Grévy ne laissa pas son nom dans l’histoire uniquement pour ce zèbre (expédié au Jardin des plantes) mais aussi pour… un scandale, celui dit « des décorations ». Rien de nouveau sous le soleil : c’est déjà la presse, à l’époque, qui soulève le… lièvre, pas le zèbre… Le gendre du Président, Daniel Wilson, député d’Indre-et-Loire (pas de la Sarthe) utilisait sa position et ses relations pour obtenir des participations financières dans ses sociétés auprès d’hommes d’affaire en échange de décorations dont la Légion d’Honneur ; tarif : 25 à 100 000 francs de l’époque*. Et comme, c’est de tout temps, argent et sexe mêlés demeurant les meilleurs ingrédients d’un scandale politique, les tractations avaient lieu dans des maisons closes, celles de MMmes Limouzin et Ratazzi. Ces dernières furent dénoncées par une ancienne prostituée, Henriette Boissier.
Presse et classe politique s’acharnèrent sur le malheureux président et le poussèrent à la démission, effective le 2 décembre 1887. Parmi les politiques les plus virulents contre Jules Grévy, Georges Clemenceau, celui qui avec son journal L’Homme libre (il sera rebaptisé L’Homme enchainé suite aux interventions de la censure en 1914) a directement inspiré le titre d’un journal satirique créé en 1915, Le Canard enchaîné… Le même Clemenceau, « modèle » d’un ancien Premier ministre récent, (vous avez dit la paille que l’on voit dans l’œil du voisin sans s’apercevoir que l’on a une poutre dans le sien ?) devait, en 1892, être mis en cause lors d’un autre scandale retentissant de la IIIe République, celui du Canal de Panama…
Nous voilà de retour dans une période où le concubinage entre argent et politique, et les « affaires » qui y sont liées, qu’il s’agisse d’un sénateur richissime souhaitant échapper à l’impôt, d’un parti d’extrême-droite « siphonnant » des fonds du parlement européen, ou d’un député soupçonné d’emploi inapproprié de crédits du Parlement français, s’étalent largement dans l’actualité. Et il n’y a pas si longtemps, c’était un ancien ministre du Budget qui était rattrapé par un scandale financier. De quoi alimenter le désespérant « Tous pourris » ? Ou bien alors de faire le simple constat somme tout réaliste que de tels dérapages sont de tout temps et pour longtemps encore.
Tout simplement parce que les politiques sont… de drôles de zèbres.
Denis Tardy
* Daniel Wilson, protégé par son immunité parlementaire, continua à siéger à la Chambre des députés, fut condamné en première instance mais acquitté en appel… et fut réélu en 1893 et 1896…