NAISSANCE
Manuel Valls n’est pas encore Président de la République loin s’en faut ; mais si, par un improbable concours de circonstances il le devenait, il serait le premier homme politique naturalisé français à exercer la magistrature suprême. Un signe des temps ?
Pas vraiment, non, quand bien même depuis la fin du siècle dernier le nombre de ministres nés à l’étranger et naturalisés français est devenu significatif. On pense à Jean-Vincent Placé, Najat Vallaud-Belkacem, Kofi Yamgnane, Rama Yade. De tout temps en effet, depuis la mise en oeuvre d’un véritable État en France, notre pays a été ouvert à l’autre, n’hésitant pas à faire appel, pour les plus hautes responsabilités, à ce type de « profil » si l’on ose écrire.
Parmi eux, Mazarin, né dans les Abruzzes en 1602, naturalisé français en 1639, Premier ministre de 1643 à 1661. Ou encore Jacques Necker, né à Genève en 1732, qui bien que protestant alors que la France les avait pourchassés et chassés depuis le siècle précédent, devint « ministre des finances » de 1777 à 1781, ministre d’État de 1788 à 1789. Pour Napoléon Bonaparte, ce fut presque le cas… à quelques mois près, il serait né gênois, la Corse étant devenue française en mai 1768.
Napoléon justement : un de ses fils (naturel), Alexandre Colonna, comte de Walewski qui naquit polonais en 1810 à Walewice, fut ministre des Affaires étrangères, ministre d’État sous le Second empire. Ce fut aussi le cas du duc de Morny, né en Suisse à Saint-Maurice-en-Valais en septembre 1811, ministre de l’Intérieur (1851-1852), président du Corps législatif. Quant à celui qui fut président du Conseil de février à décembre 1879, William-Henry Waddington, il demanda et obtint la nationalité française. Pour l’anecdote, on l’a déjà souligné dans une chronique « Histoire du temps passé au présent », c’est à ce président du Conseil d’origine écossaise et ayant fait ses études à Rugby et au Trinity College de Cambridge que l’on doit la Marseillaise comme hymne officiel…
Et puis, il y a eu Robert Schuman, né en 1886 à Luxembourg, allemand de naissance, devenu citoyen français par le traité de Versailles de 1919 et qui, président du Conseil en 1947 et ministre des Affaires étrangères, fut à l’initiative de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), origine de l’Union européenne ; et pour cela considéré comme l’un des « Pères de l’Europe ». Une démarche visionnaire, tout comme celle de Mazarin au XVIIe siècle avec le traité des Pyrénées faisant de la France la première puissance européenne (annexion de l’Artois, du Roussillon, d’une partie de la Lorraine) et qui, grâce aux 500 000 écus que devait payer l’Espagne à notre pays, aurait pu restaurer les finances royales bien mal en point… si la somme avait été payée. C’est aussi en matière de finances que l’action de Jacques Necker s’avéra d’importance, avec la modernisation de l’organisation économique du Royaume qui aurait sans doute modifié le cours de l’Histoire si elle avait pu être menée à terme. Modernisation de l’organisation économique de la France, un sujet encore bigrement d’actualité, et avec des débats comparables entre ceux qui étaient partisans du « laisser-faire », les libéraux si l’on préfère, et ceux qui comme Necker soulignait que c’était au « gouvernement, interprète et dépositaire de l’harmonie sociale, de faire pour…(la)… classe déshéritée tout ce que l’ordre et la justice permette. » On croirait entendre les débats actuel sur la nécessité de limiter les excès du libéralisme à tout crin.
On s’en serait douté, mais encore faut-il le rappeler en ces temps troublés : ce n’est pas le lieu de naissance qui importe pour qu’un homme politique se révèle homme d’État, mais sa propension à être visionnaire.
Denis Tardy