FONCTIONNAIRES
Amusant de constater qu’en plein débat « pré-élection présidentielle » consacré aux suppressions annoncées du nombre de fonctionnaires, un seul des sept présidents de la République depuis 1958 ne fut pas fonctionnaire : un militaire (De Gaulle), un professeur de lettres (Pompidou), un inspecteur des finances (Giscard), deux auditeurs à la Cour des Comptes (Chirac, Hollande), un contractuel au commissariat au reclassement des prisonniers de guerre (Mitterrand) ; seule exception un avocat (Sarkozy)… Plus sérieusement, ces chiffres de suppression d’emplois publics qui volent en tout sens méritent d’être remis dans leur contexte financier.
Grossièrement, notre pays bénéficierait de 5,6 millions de fonctionnaires soit 2,5 millions pour l’État, 1,9 millions pour les collectivités locales et territoriales, 1,2 millions pour la santé (chiffres de 2013). Un nombre total de fonctionnaires qui aurait augmenté de 1,2 millions depuis 1998, essentiellement dans la fonction publique territoriale (+ 950 000 environ). Toujours entre 1998 et 2013, le nombre de fonctionnaires d’État serait demeuré stable (autour de 2,5 millions). Ce qui amène deux réflexions : tout d’abord, les collectivités territoriales avancent souvent que si elles ont été obligées d’embaucher massivement, c’est parce que l’État leur a transféré des compétences qu’il exerçait auparavant et que donc la fonction publique d’État aurait du voir baisser ses effectifs; certes, mais la création des structures intercommunales n’explique-t-elle pas aussi la forte croissance des effectifs de la fonction publique territoriale, avec un phénomène comparable, autrement dit la création de postes intercommunaux sans diminution des effectifs des communes et des départements qui ont pourtant transmis des compétences aux organismes intercommunaux ? Deuxième réflexion : si stabilité il y a eu dans la fonction publique d’État entre 1998 et 2013, il faut souligner que sa structure a changé puisque on a assisté à un quasi doublement des effectifs des « agences », ou établissements publics à caractère administratifs (550 000 en 2013 contre 250 000 en 1998), démembrement de l’action publique afin de contourner les mesures de restrictions d’effectifs pour les uns, meilleure « productivité » pour les autres.
Pour mieux mesurer le poids économique de la fonction publique, les comparaisons avec les pays européens offrent un intérêt certain. Certains vont souligner que le chiffre de 5,6 millions de fonctionnaires (en réalité 5,2 millions de postes équivalents temps plein si l’on prend en compte le nombre important d’agents travaillant à temps partiel) est l’un des plus élevé d’Europe, que notre pays avec 84 agents pour 1 000 habitants est « sur-administré » en comparaison avec les 50 agents pour 1 000 allemands, la médiane européenne s’établissant à 61 agents pour 1 000 habitants. Certes, mais étonnamment, si l’on observe le pourcentage de l’emploi total que représentent les fonctionnaires en Europe, la France se situe à 21 % alors que la médiane des pays européens est à 25 % (le Royaume Uni est à ce chiffre…), ce qui nous place au 13e rang européen !
Autres chiffres significatifs: ils concernent l’absentéisme. Les pourcentages d’agents de la fonction publique malades au moins un jour dans une semaine d’une année représentent 4 % dans les hôpitaux, 4,5 % dans les collectivités territoriales, 2,9 % dans la fonction publique d’État et… 3,6 % dans les entreprises privées.
Pour supprimer des postes de fonctionnaires en France, compte tenu d’un statut protecteur, la seule opportunité c’est le remplacement ou non de ceux qui partent en retraite. En 2012, ils représentaient environ 100 000 personnes, répartis entre 43 000 pour les agents de l’État, 11 500 pour les militaires, 26 500 pour les collectivités territoriales, 19 000 pour la santé. Autrement dit, si l’on « affiche » 500 000 fonctionnaires en moins sur cinq ans, cela signifie que l’on ne remplace aucun départs à la retraite… Et que si l’on veut renforcer les effectifs quelque part (sécurité, enseignement, justice par exemple) il faudra supprimer des postes ailleurs, au delà des départs en retraite.
Ces mêmes départs en retraite qu’il faudra financer: un fonctionnaire en retraite perçoit 75% de son traitement en moyenne, alors que dans le privé, c’est entre 40 et 50 %. Les 25 % d’économisés avec les départs en retraite des 500 000 fonctionnaires, sur la base d’un coût total moyen de 50 000 euros annuels représentent environ 6,5 milliards d’euros par an. On rappellera que le service de la dette (le remboursement des emprunts de la France nous fait débourser chaque année 45 milliards d’euros).
À titre de comparaison, augmenter le taux de TVA de 1 % apporte 7 à 8 milliards au budget de l’État.
Denis Tardy