Chronique du 22 juin 2016

 

ZOUAVE

 

Depuis le temps qu’il veille, sentinelle amarrée à sa pile de pont ainsi qu’Ulysse attaché à son mât pour résister aux sirènes, le zouave du pont de l’Alma à Paris ne manque pas de temps à accorder à la réflexion. C’était encore le cas le samedi 4 juin.

 

Il n’était pas mécontent (on a son petit orgueil tout de même) d’être photographié sous toutes les coutures, pas celles du pantalon bouffant, totalement immergé, lui. Mais il ne se leurrait pas sur l’inconstance de ses admirateurs d’un jour, pas de tous les jours, pour une grande part nés avant 1970. Et il se remémorait, notre zouave, que son sort fut joué à pile ou face, et que sur l’unique pile conservée lors de la reconstruction du pont de l’Alma, alors que ses trois autres compagnons (le chasseur à pied, l’artilleur et le grenadier) furent sacrifiés, sa statue fut déplacée pour faire face aux flots, en amont, alors qu’auparavant, en aval, elle regardait vers la mer et les aventures lointaines, en Crimée par exemple.
Une situation consacrant définitivement son changement de… statut : passée de mode la glorification de l’armée française, place à un rôle bien prosaïque de repère du niveau de l’eau de la Seine. Amère destinée que de devoir le maintien de sa popularité à une fonction aussi futile, plus de 160 ans après cette victoire de l’Alma où les régiments de zouaves ont mené l’attaque décisive; tout comme leur assaut de la tour Malakoff, un an plus tard, scellait le sort de la guerre et la défaite de l’armée russe.
Celui qui conduisit nos zouaves à la victoire c’était le général Patrice de Mac Mahon, le même qui devenu maréchal et Président de la République, lors d’un déplacement à Bordeaux victime d’inondations, s’écria : « Que d’eau, que d’eau… » ce à quoi le préfet de service répondit : « Et encore, Monsieur le Président, vous ne voyez que le dessus… » Quant à Sébastopol, prise après le glorieux combat de la tour Malakoff, on a laissé, ruminait notre zouave, les russes de Poutine s’en emparer en 2014 sans bouger le petit doigt… » Pas né de la…dernière pluie, notre zouave avait été alerté quelques jours auparavant en mai 2016, de l’annonce d’une crue de la Seine, un de ses affluents, le Loing étant… proche de son niveau historique. Les riverains s’inquiétaient, téléphonaient : « Allo, à l’eau… » Mais personne sauf notre zouave ou presque ne rappelait que d’après la tradition, Paris fluctuat mais ne mergitur pas. Au reste quand bien même on mettait les tableaux du Louvre en réserve à l’abri des inondations, la toile représentant son copain, le caporal Lihaut, du premier régiment de zouaves, hissant le drapeau sur la tour Malakoff en septembre 1855, peint par Horace Vernet, n’était pas menacé par les inondations, conservé qu’il est au musée Rollin d’Autun. Son copain Lihaut, justement, dont l’histoire a retenu le nom alors que lui demeure un anonyme, mais pas son sculpteur, Georges Diebolt. Quelle ingratitude se désolait-il, tout en reconnaissant que prendre des bains de pied à répétition, quand bien même le règlement de l’armée française spécifiait que « les pieds sont l’objet de soins attentifs et constants… », cela ne vous fait pas connaitre et reconnaitre comme un héros. Finalement, estimait le zouave inconnu du pont de l’Alma, je suis né trop tôt. Il a fallu attendre les années 1920 pour que l’on choisisse un autre soldat inconnu, celui qu’on a placé sous l’Arc de Triomphe.  » Lui voit briller la flamme, moi je vois couler l’eau. Faudrait peut-être que l’on se parle un peu plus, parce que l’éternité, c’est long…« 

Denis Tardy

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