PANAMA
Cent vingt ans ont passé depuis cet épisode quelque peu oublié, qui pourtant mérite d’être exhumé, pour mesurer le (peu) de chemin parcouru.
Pour réaliser la liaison maritime entre océans Atlantique et Pacifique, Ferdinand de Lesseps propose un gigantesque projet dans les années 1880, réaliser un canal, celui de Panama. Qui permettra aux bateaux de faire New-York-San-Francisco en 9 500 km au lieu de 22 500 km. L’emprunt qu’il lance pour ce faire à la bourse de Paris ne permet pas de lever les 400 millions escomptés, mais seulement 300 millions. Des francs, pas des euros. De plus le chantier titanesque rencontre des difficultés sur le terrain, prend du retard et en 1884, l’argent commence à manquer. Lesseps imagine de faire appel à l’épargne populaire avec une émission d’obligations à lots. Mais pour ce faire, il faut modifier la loi. Afin de s’assurer du vote positif des députés, on n’est jamais trop prudent…, une centaine d’entre eux percevront des centaines de milliers de francs (des francs-or bien sûr). Pour faire bonne mesure, des journaux aussi perçoivent des « fonds de publicité » afin de vanter les mérites de l’opération… Tout se passe bien, la loi est votée, jusqu’à ce qu’un « lanceur d’alerte », si l’on ose l’anachronisme, révèle le pot aux roses à un journaliste, Édouard Drumont, qui dans son quotidien La Libre Parole (justifiant le titre de son journal…) mette l’affaire sur la place publique. Toute la presse se déchaine, il y aura commission d’enquête, procès, peines (légères) de prison et accessoirement la carrière politique de Georges Clémenceau sera compromise.
Cent vingt ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? D’abord le Panama est devenu indépendant (en 1903) et a adopté pour devise : Pro mundi beneficio (Pour le bénéfice du monde), sans commentaire. Du côté des hommes politiques, la démission récente du Premier ministre d’Islande renvoie à la démission du ministre de l’Intérieur français de l’époque, Émile Loubet… ce qui ne l’empêchera pas de devenir en 1899 président de la République : le Premier ministre d’Islande ne doit pas désespérer… quoique le président de la Chambre, Charles Floquet, vit sa carrière définitivement interrompue. Le « lanceur d’alerte », celui qui informa Édouard Drumont, c’était le banquier Jacques de Reinach, ne serait-il pas aujourd’hui aussi qualifié de « repenti » dès lors qu’il distribuait les « fonds de publicité »? Au reste, toute ressemblance avec un ex-trader de notre époque très médiatisé ne saurait qu’être l’effet du hasard… Quant à cet Édouard Drumont, il logera, après les articles de révélation, en prison pour 3 mois. On ne sache pas que le directeur du Monde ait connu le même sort… On le retrouvera, Édouard Drumont, un violent antisémite soit dit en passant, en pointe lorsque l’Affaire Dreyfus déchainera les passions à la tout fin du XIXe siècle. Une affaire qui fera oublier le scandale de Panama et la ruine de 85 000 épargnants lorsque la Compagnie de Panama fut liquidée (en 1889). Quel autre scandale fera oublier le Panama papers ?
Les américains, qui n’étaient pas mêlés au scandale de Panama, pas plus semble-t-il qu’au Panama papers, achevèrent le canal. Les chiens aboient, les bateaux passent…