Chronique du jeudi 10 décembre 2020

 

GÉNÉRAUX

 

« Cedant arma togae » : le principe de la République de Rome interdisant l’entrée dans la ville aux généraux avec leurs légions n’empêcha pas,  on le sait, César de franchir le Rubicon. Chez nous aussi des généraux vainqueurs (ou pas…) sauteront le pas. On se souvient de Bonaparte, de Pétain également, organisant des coups de force pour retirer le pouvoir aux civils, De Gaulle constituant un cas à part. Les spéculations sur la possibilité que le général de Villiers soit tenté par une candidature à l’élection présidentielle de 2022 offre l’opportunité de revenir sur tous ces généraux qui depuis plus de deux siècles furent tentés par l’exercice du pouvoir en France. Connus ou moins connus.

 

Parvenu au pouvoir suprême par un coup d’État, Bonaparte devenu l’empereur Napoléon n’en fut pas moins en butte à des tentatives de généraux voulant suivre son exemple pour prendre sa place: Pichegru en 1804, Malet en 1812, dont les tentatives avortèrent. Ils n’étaient que les premiers d’une longue liste de généraux tentés par la politique.

Parmi de nombreux exemples, le général Cavaignac, républicain, qui soutint le mouvement révolutionnaire de 1830 (‘’les Trois glorieuses’’) fut éloigné en Algérie avant, à l’occasion de la révolution de 1848 d’être élu député puis de présider le conseil des ministres, étant de facto chef de l’État ; comme Mac Mahon, Pétain, De Gaulle. Le maréchal de Mac Mahon en effet, un monarchiste devenu président de la République en 1873 dans l’attente de la montée sur le trône de France d’Henri V… qui n’eut jamais lieu. Au reste les deux maréchaux Mac Mahon et Pétain partage en plus d’avoir été tous les deux à la tête de la France la particularité d’accéder à ces hautes fonctions après avoir été vaincus dans des guerres franco-allemandes : quand la défaite militaire aboutit à la victoire électorale…

La IIIe République naissante n’en avait pas fini avec les militaires : le général Boulanger aussi fit trembler le régime sur ses bases. Mais bien que soutenu par les monarchistes et les bonapartistes, il refusa à ses partisans qui l’en pressait, en janvier 1889, de marcher sur l’Élysée et de prendre le pouvoir. Réfugié à Bruxelles après avoir été condamné en Haute Cour de justice, il se suicidera sur la tombe de sa maîtresse en 1891. Dix ans plus tard, rebelote : Paul Déroulède, fondateur de la Ligue des Patriotes, qui déjà faisait partie des soutiens de Boulanger l’incitant à prendre l’Élysée, tente mais sans succès, en s’emparant de la bride du cheval du général Roget,  de l’entraîner à l’Élysée avec ses troupes, lors des funérailles d’un président de la République. Le refus du général serait plus à attribuer aux faibles chances de réussite d’un coup d’État improvisé qu’à son loyalisme…

Quant au général Joffre, doté de très importants pouvoirs en raison de l’état de siège au début de la guerre de 1914-1918, il se contenta de tout faire pour que le gouvernement réfugié à Bordeaux y reste le plus longtemps possible (du 29 août au 8 décembre 1914) afin d’avoir les mains libres, ce dont se plaignait le président de la République, Raymond Poincaré. On estime qu’avec le retour du gouvernement à Paris, le pouvoir civil reprit la main, en particulier sur la gestion du conflit.

On n’évoquera que pour mémoire le maréchal Franchey d’Éspèret, autre grand chef de la Grande Guerre, qui dans les années 1920 aurait financé certains groupes occultes d’extrême droite pour lutter contre le communisme. Et un autre brillant officier de la guerre de 1914-1918 s’illustra dans la vie politique de l’entre-deux-guerres, le colonel de La Roque et son mouvement Croix-de-Feu devenu Parti social français qui comptera jusqu’à un million d’adhérents. Mais lors de l’émeute du 6 février 1934 visant à renverser la République, son refus de faire marcher ses militants sur le Palais Bourbon fut décisif pour faire échouer le coup de force des mouvements d’extrême-droite.

Et curieusement, lors de la Seconde Guerre mondiale, ce furent trois militaires qui gouvernèrent ‘’les Frances’’, à Vichy Pétain, à Alger le général Giraud (après l’amiral Darlan), à Londres De Gaulle. Cela se termina comme tous les triumvirats (déjà à Rome il y a 2 000 ans) par le pouvoir d’un seul.

Enfin, dernier épisode, en avril 1961, le putsch (qui fit pschitt en cinq jours) des généraux Salan, Challe, Jouhaux, Zeller constitue la plus récente tentative de prise de pouvoir par des militaires en France.

Comme on est en période d’élection présidentielle aux États-Unis, on s’est amusé à repérer combien de chef d’État américains étaient d’anciens officiers généraux et cela depuis 1789 : sauf erreur, il y en eu six (Washington, Jackson, Harrison, Taylor, Grant, Eisenhower). Tout comme il y eu autant de chef d’État français anciens officiers généraux depuis 1789 : Bonaparte, Louis-Philippe, Cavaignac, Mac Mahon, Pétain, De Gaulle.

Le hasard sans doute.

Denis Tardy

 

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