FUSIONS
Plutôt que de rajouter une louche dans la soupière de commentaires qui pullulent ces derniers jours à propos du mouvement social généré par le projet gouvernemental de réforme des retraites, on a choisi d’évoquer un des aspects de cette réforme quelque peu négligé : sa faisabilité technique, à la lumière d’expériences passées pas si lointaines que cela. Fusionner 42 régimes de retraites, cela fait penser à la calamiteuse fusion des régimes de protection sociale de la CANAM et de l’ORGANIC pour former le RSI en 2008. Une catastrophe dans la mise en œuvre, informatique notamment. Autre fusion calamiteuse, celle de l’ANPE et de l’ASSEDIC, Pôle emploi ayant eu le plus grand mal depuis 2008 à remplir correctement ses missions. Toujours dans le domaine des fusions, la nouvelle carte administrative des régions en France en 2015 (leur nombre divisé par moitié) a abouti à… une augmentation des charges de gestion plutôt qu’à leur réduction, un des objectifs poursuivi. Quant à la fusion en un seul système de paiement des militaires des différentes armées et services, il patine toujours depuis… 1996 !
Big n’est pas toujours beautiful. Moins trivialement, fusion n’est pas (toujours) raison. Soyons clair : un système universel de retraite apparaît dans l’esprit très satisfaisant. Mais la question de la capacité technique à la mise en œuvre d’une fusion de ces 42 régimes de retraite n’a pas été soulevée, que l’on sache, comme si l’on avait oublié par exemple, l’inénarrable feuilleton des anomalies de fonctionnement (c’est un euphémisme) du RSI, régime social des indépendants, né de la fusion de trois régimes de protection sociale de travailleurs indépendants, commerçants et professionnels libéraux. Un RSI en désespoir de cause noyé l’an dernier dans le régime général.
La fusion entre l’ANPE (Agence nationale pour l’emploi) et le réseau ASSEDIC en février 2008, elle aussi a mis du temps à prouver sa pertinence : il fallut attendre 2017 pour que Pôle emploi (nom de la structure fusionnée) atteigne les objectifs fixés par l’État et l’UNEDIC à 100 %…
Et puis François Hollande, avec son plan de réduction du nombre de régions (de 22 à 13) prévoyait des économies d’échelle qui ne sont pas venue s: « La fusion des régions à occasionné dans un premier temps des surcoûts importants… Trois ans après la mise en œuvre de la réforme, les économies de gestion annoncées ne sont pas encore au rendez-
vous », estimait la Cour des comptes il y a quelques semaines, en septembre 2019.
Le plus bel exemple d’incapacité à réaliser une fusion de différents organismes ou systèmes dont on estime (à juste titre semble-t-il) qu’elle ne peut qu’apporter des progrès et de la rationalité, c’est bien celui de la réforme du système de paie de l’armée française. Le projet d’un logiciel unique pour payer tous les militaires fut lancé en 1996. Entré en service en 2011, ce fut une catastrophe, avec retards de paiement ou trop perçus pour des milliers voire des dizaines de milliers de militaires. Aujourd’hui encore ‘’Source solde’’, logiciel ayant remplacé ‘’Louvois’’, n’est pas totalement fiable aux dires des autorités.
De là à en conclure que fusionner 42 régimes de retraite n’a rien d’aisé sur le plan technique…Curieusement aucun des syndicats protestants contre le projet de réforme n’a encore invoqué cet argument.
Pas encore ?
Denis Tardy