CHIENS DE GUERRE
Non, ce n’est pas le film de John Irvin de 1980, adapté d’un roman de Frederick Forsyth que l’on souhaite évoquer avec cette chronique sur les chiens de guerre, mais les véritables chiens mis à contribution par les armées, le plus récent étant celui ayant participé à l’opération contre Abou Bakr al-Baghdadi. Plutôt que de reparler des célèbres Rintintins¹, pourquoi ne pas rappeler que Stubby a combattu dans les tranchées en 14-18, que Moustache se distingua lors des campagnes napoléoniennes, qu’il a des successeurs encore aujourd’hui et que la fiction romanesque et cinématographique du Collier rouge pose, elle, les bonnes questions.
Comme à l’habitude, les tweets de Trump expliquant le rôle du chien X… ( il s’appellerait Conan) dans l’élimination d’Abou Bakr al-Baghdadi il y a quelques jours ne sont pas passés inaperçus. Résumons : un « chien merveilleux » qui a fait « un boulot génial », a participé à l’assaut des troupes américaines ; il a été légèrement blessé mais se remet selon le chef d’état-major de l’armée américaine. Trump a aussi détaillé que le chef de DAECH réfugié dans un tunnel, « a été poursuivi par nos chiens », non sans dire aussi qu’Abou Bakr al-Baghdadi était « mort comme un chien et comme un lâche »… on en déduira qu’il y a chien et chien.
En tout cas, rien de nouveau dans l’en-régimentement des chiens par les armées, spécialement par celle des États-Unis. Un pays ayant poursuivi la tradition des chiens de guerre utilisés dès l’Antiquité : quatre mille chiens furent mobilisés au Viet-Nam dans les années 1960 et auparavant, le légendaire Stubby participa à quatre offensives et dix-sept batailles au sein des troupes américaines à la fin de la guerre de 14-18. Ses actions d’éclat en firent le premier chien gradé (comme sergent) de l’armée américaine, et il est réputé pour être le chien le plus décoré de la Première Guerre mondiale.
Ni plus ni moins, Stubby avait suivi la glorieuse trace de Moustache : c’était un barbet, né en 1799, devenu mascotte de la 40° demi-brigade de l’armée française. Affectée à l’armée d’Italie, la dite demi-brigade franchit avec Moustache le col du Grand-Saint-Bernard (l’histoire ne dit pas s’il copina avec les chiens de l’hospice…) ; Moustache est blessé en déjouant une incursion ennemie à Alexandrie, se distingue à la bataille de Marengo (1800) où il perd une oreille. À Austerlitz (1805), il ramène le drapeau de son régiment, perd une patte et se voit décoré, sa médaille portant l’inscription : « Moustache, qu’il soit partout respecté et chéri comme un brave ». Une médaille suspendue à un ruban rouge. Chien vétéran de la Grande armée, il est tué par un boulet en Espagne en 1811. Sa tombe, avec l’inscription « Ici repose le brave Moustache », fut détruite sur ordre de l’Inquisition espagnole et ses os brûlés. Mais une plaque, depuis 2006, l’honore au cimetière des chiens d’Asnières-sur-Seine.
On ne sait si pour l’un des trois cent cinquante chiens achetés chaque année par le 132° régiment d’infanterie cynotechnique (le plus grand chenil d’Europe) le nom de Moustache a été repris, mais en tout cas, le régiment et ses chiens ont été engagés par la France sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures ces dernières années.
Quant à Guillaume, ce chien de guerre ‘’de hasard’’ inventé par Jean-Christophe Rufin dans son roman Le collier rouge paru en 2014, qui a inspiré en 2018 un film à Jean Becker, malgré son héroïsme, il n’a pas été décoré : son maître y remédiera en public lors d’une fête patriotique, ce qui provoquera son emprisonnement. Mais Guillaume ne l’abandonnera pas. Une façon de poser l’éternelle question : que signifie faire la guerre pour ceux qu’on aime, quel sens donner à la fidélité, à la fraternité ?
Denis Tardy
¹ Le chien Rintintin de la série télévisée des années 1960 était le quatrième descendant du Rintintin né en France en 1918 et recueilli par un soldat américain qui en fit de retour aux États-Unis un acteur qui a son étoile sur Hollywood boulevard. Il décéda en 1932 et fut enterré au cimetière des chiens d’Asnières-sur-Seine.