PIED DE NEZ
Ils étaient presque 400 000 candidats au bac général et 140 000 pour les bacs technologiques lundi dernier à débuter leurs épreuves avec celle de philosophie. Pour l’écrasante majorité, un mauvais moment à passer, éprouvant et source d’appréhension. Si « se moquer de la philosophie, c’est vraiment philosopher » comme le soutenait Blaise Pascal (1623-1662) alors pourquoi ne pas prendre au pied de la lettre cette ‘’pensée’’ avec les sujets proposés cette année au bac ? Histoire de rire de tout avant d’être obligé d’en pleurer… au vu de la note obtenue.
On l’imagine bien, Florent, plus qu’expectatif devant le sujet qu’on vient de lui distribuer, plus exactement celui qu’il a choisi parmi les trois proposés : « Est-il possible d’échapper au temps ? » Tout alors se passe très vite : il s’aperçoit qu’une demi-heure s’est déjà écoulée, et qu’il n’a pas avancé d’un iota. Pas d’idée, encore moins ne serait-ce qu’une ébauche de plan, le trou noir… jusqu’à l’intuition peu banale. Il écrit alors fièvrement sur sa copie : « Oui, il est possible d’échapper au temps puisque moi, à 8 heures 35, je rend cette copie attestant que j’ai échappé à quatre heures, non, trois heures vingt-cinq du temps de l’épreuve de philosophie du bac 2019 ». Il prend soin de remettre sa copie avant de sortir. Quelle note mérite Florent ?
Dans une autre salle d’examen, Émilie a choisi, elle, le sujet : « À quoi bon expliquer une œuvre d’art ? » Ce n’est pas les idées qui lui manquent, mais la capacité à les articuler dans un raisonnement logique et démonstratif. En désespoir de cause, elle se risque à évoquer l’art conceptuel, soulignant que pour les artistes de ce courant, une œuvre n’a pas forcément à être finie, ce ne peut être qu’une esquisse, à chacun de ‘’réaliser’’ l’œuvre. Et d’ajouter dans un parallèle hasardeux : « C’est comme ma copie d’épreuve de philosophie du bac, j’engage mon correcteur à, partant de ce concept, en imaginer (et à noter) sa richesse potentielle, virtuelle ou éventuelle ». Elle sort aussi bien avant la fin après avoir remis sa copie. Quelle note mérite Émilie ?
Camille n’a pas hésité devant les sujets ; elle a choisi « La morale est-elle la meilleure des politiques ? » Familière du Prince de Machiavel, aussi du Léviathan de Hobbes, elle a également entendu parler de real politik, de Bismark à Henry Kissinger. Mais elle sèche. C’est en définitive sa bonne mémoire (exercée avec une pratique assidue de rédaction de fiches de lecture) qui lui offre la planche de salut. De sa haute écriture parfaitement déliée, elle inscrit sur sa copie ces mots : « André Malraux a écrit ‘’qu’on ne fait pas de politique avec de la morale, on n’en fait pas davantage sans’’ » ; si ce grand intellectuel se retrouve incapable de répondre à votre question, comment voulez-vous qu’une lycéenne de 18 ans fasse mieux ? Tout comme Florent et Émilie, elle quitte la salle avant la fin de l’épreuve non sans avoir remis sa copie. Quelle note mérite Camille ?
Si rendre feuille blanche, c’est le zéro éliminatoire assuré, peut-être qu’avec un peu d’humour, je pourrais gagner l’indulgence du correcteur se dit Franck, très peu préparé à l’épreuve de philosophie ; en définitive, il choisit le sujet « Le travail divise-t-il les hommes ? » conscient que le travail fourni durant l’année scolaire en philosophie… divisait les candidats. Et puis surtout, il avait une réponse toute trouvée bien que lapidaire : « Assurément le travail divise les hommes entre ceux qui le font et ceux qui le font faire ». Au moins, se dit-il, je vais faire gagner du temps de correction à celui qui va juger ma copie. Quelle note mérite Franck ?
On se plait à imaginer les correcteurs face à de telles copies, et l’un d’eux inscrivant en annotation : « Le candidat aurait gagné à connaitre l’aphorisme de Henry-Louis Mencken : ‘’pour chaque problème complexe, il y a une réponse qui est claire, simple… et fausse’’ ».
Denis Tardy