Chronique du jeudi 6 juin 2019

 

DÉBARQUEMENTS

 

Déjà 75 ans que les forces alliées débarquèrent en Normandie. En Angleterre d’abord, en France ensuite, ce mémorable D Day vient d’être célébré, avec un seul parmi les nombreux chefs d’état présents, la reine Élisabeth II, pour qui c’était aussi une partie de sa propre histoire qui était évoquée. L’occasion de rappeler que, entre France et Grande-Bretagne, durant plus de deux millénaires, les débarquements réciproques furent… légion depuis celui des armées romaines de César en 55 avant J.-C.

Entre ce que sont actuellement la France et la Grande-Bretagne, les débarquements d’unités militaires n’ont pas cessé depuis au moins deux mille ans. César y débarque deux fois, en 55 puis en 54 avant J.-C. ; jusqu’à ce qu’au début des années 40 après J.-C., quarante mille légionnaires traversent, jamais deux sans trois, l’actuelle Manche pour une conquête durable.

Et puis il faut attendre 1066 pour qu’environ dix mille hommes, fantassins, cavaliers et archers, traversent, depuis la Normandie, la Manche, pour partir conquérir l’actuelle Grande-Bretagne. On est en septembre, et Guillaume et ses normands, après leur succès lors de la bataille d’Hastings, vont s’emparer de l’Angleterre. Les saxons n’auront plus qu’à faire… tapisserie dit-on du côté de Bayeux.

Cent cinquante ans plus tard, le fils du roi de France Philippe II, Louis, débarque en Angleterre en 1216 avec ses troupes, pour se faire couronner roi mais un an plus tard il devra renoncer à ses espérances. Il n’en sera pas moins roi de France avec le patronyme ‘’le Lion’’ : sur l’étendard anglais, figurent trois léopards…

Débarquements toujours, mais de troupes anglaises en France, on est en 1346, en juillet, et le roi d’Angleterre Édouard III accoste dans le Cotentin, ce sera l’un des premiers épisodes de la guerre dite de ‘’cent ans’’ entre français et anglais. Il faudra attendre avril 1904 pour qu’entre les deux nations soit officialisée l’Entente cordiale… 

Encore un saut chronologique: on est en 1627, et à la faveur de la montée en puissance des cités protestantes, places fortes de sûreté accordées pour mettre fin aux guerres de religions par l’édit de Nantes, l’Angleterre veut profiter de la situation. Il s’agit pour elle de semer la zizanie dans le royaume de France, en venant à la rescousse des protestants de La Rochelle révoltés contre l’autorité du roi. Le 12 juillet, partant de Portsmouth déjà (ce fut l’un des ports d’embarquement de juin 1944), Georges Villiers duc de Buckingham débarque sur l’île de Ré avec cent-dix vaisseaux et huit mille hommes. Il n’obtiendra pas de succès probant, pas plus que les deux tentatives suivantes (avril puis août  1628) ne pourront desserrer l’étau du siège. La ville devra se rendre. Le cardinal de Richelieu, à la manoeuvre dans cette affaire, aura… endigué les menées anglaises.

Et puis on l’a un peu oublié, Louis XIV aussi s’est exercé aux débarquements : ce fut en mars 1689, en Irlande à Kinsale, en soutien des prétentions de Jacques II Stuart. Là encore un échec à terme.

Nouveaux épisodes de débarquements durant la Révolution et l’Empire : à Toulon en 1793, les flottes britannique et espagnole débarquent dix-sept mille hommes et prennent la ville ; un certain Bonaparte permettra de les déloger. Débarquement de nouveau en 1795, dans la presqu’île de Quiberon : émigrés et chouans, soutenus par la Royal Navy ne réussissent pas leur entreprise contre révolutionnaire. Et malgré tout Bonaparte sept ans plus tard prépare depuis Boulogne un débarquement en Angleterre qui n’aura jamais lieu… quand bien même le 1er décembre 1803, les forces rassemblées reçoivent le nom ‘’d’armée d’Angleterre’’.

Il faudra attendre le 9 août 1914 pour ‘’renouer avec la tradition’’ si l’on ose écrire : le corps expéditionnaire britannique débarque sur le territoire français ; il sera engagé dès le 22 août près de Monge. Et l’on aura garde d’oublier d’évoquer Dunkerque en mai-juin 1940 et le rembarquement-miracle de trois à quatre cent mille hommes.

Avec la commémoration du 75° anniversaire du débarquement du 6 juin 1944, on a beaucoup évoqué les vétérans américains, moins les britanniques qui furent pourtant soixante-treize mille à débarquer, plus que les cinquante-neuf mille soldats américains. Brexit ou pas, cela méritait d’être rappeler.

Pas de doute, les débarquements sont une spécialité franco-anglaise.

Denis Tardy

 

 

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