Chronique du jeudi 25 octobre 2018

 

PONTS

 

Le pont Hong Kong-Zhuhai Macao, c’est une cinquantaine de kilomètres d’infrastructure inauguré fin octobre ; le pont du détroit de Kertch, c’est une vingtaine de kilomètres ouvert à la circulation mi-mai dernier. Les ponts, de préférence titanesques, semblent devenus ces derniers temps la lubie des dictateurs de ce bas monde, dans la foulée de la réalisation en 2016 du pont Yavuz Sultan Selin qui pulvérise les records techniques mondiaux. Xi Jinping, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, même combat pour rouler les mécaniques par ponts interposés ? Pendant ce temps le président des États-Unis n’a toujours pas abandonné l’idée d’un mur, lui aussi gigantesque, en frontière Mexique-États-Unis.

Moins de dix ans auront suffit pour construire le pont Hong Kong-Zhuhai Macao, en réalité un pont principal, un tunnel puis un pont suspendu, au total une infrastructure de plus de 50 kilomètres, le tout pour un coût d’une vingtaine de milliards de dollars. Conçu pour durer 120 ans le pont principal (23 kilomètres) a nécessité pour son infrastructure 420 000 tonnes d’acier (soixante fois la Tour Eiffel) et certains piliers s’élèvent à 460 mètres de hauteur. Sans oublier qu’il a fallu créer 6 îles artificielles. Il est censé résister à un typhon niveau 16 et à un tremblement de terre niveau 8.

C’est au volant d’un camion orange qu’avait inauguré le pont de Crimée (ou du détroit de Kertch) en mai dernier Vladimir Poutine. Plus long pont d’Europe avec sa vingtaine de kilomètres. Le pont de Saint-Nazaire chez nous, le plus long du pays, c’est environ 3,4 kilomètres.  

Bien avant Xi Jinping et Vladimir Poutine, un autre grand ami des droits de l’homme s’était offert lui-aussi un pont monumental, le troisième traversant le Bosphore, le plus haut pont ferroviaire du monde, bénéficiant de la plus longue portée de tablier haubané et également des plus hauts pylônes pour un pont suspendu (322 mètres de hauteur). Il fut inauguré en août 2016.

Outre le gigantisme de ces infrastructures dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il témoigne de la mégalomanie de ces trois dirigeants, ces trois ponts ont aussi la caractéristique commune d’être très « politiques » : le pont chinois, c’est l’étau qui se resserre autour de Hong Kong et de son statut « autonome » particulier qui se voit grignoter progressivement par la Chine ; le pont du détroit de Kertch, c’est l’asphyxie économique de l’Ukraine qui se profile (plus de liaisons maritimes à grand gabarit) et une annexion de la Crimée qui en dépit des protestations occidentales risque d’être entérinée ; le troisième pont du Bosphore, c’était, par sa dénomination (pont Yavuz Sultan Selim) une façon d’honorer ce responsable de la persécution de la communauté alévie au XVIe siècle alors même que la Cour européenne des droits de l’homme a condamné (en décembre 2014) « la discrimination sur la base de la religion de cette communauté ».

On s’inquiète parfois des projets de murs gigantesques, en Israël ou comme celui dont rêve Donald Trump entre Mexique et États Unis ; on devrait aussi regarder de plus près ce qu’il en est des ponts. C’est simple, imaginez que les marocains décident d’un pont traversant le détroit de Gibraltar, les fameux singes n’en seraient-ils pas des victimes ?…

Denis Tardy

 

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