Chronique jeudi 18 mai 2017

 

SOCIÉTÉ CIVILE

 

Le recours à la société civile, invoquée massivement ces derniers temps, serait la panacée pour gouverner la France. Ce n’est pas la première fois que la tentation est d’aller chercher, hors de la classe politique, des dirigeants pour la « maison France ». Déjà en 1919 le rapport Clémentel ouvre la voie à la technocratie, puissante aujourd’hui dans les rouages du pouvoir. Quelques années plus tard, c’est la « république des professeurs » qui est diagnostiquée par Albert Thibaudet ; puis la « république des avocats » sous feue la « quatrième ». Et l’on évoque volontiers la « république des énarques », ultime avatar d’une certaine forme de technocratie dont il conviendrait de limiter l’importance en faisant appel à… la société civile.
Étienne Clémentel, on s’en souvient comme du précurseur de la création des régions administratives dans notre pays. C’est aussi celui qui fut à l’origine, avec son volumineux rapport (2 400 pages) de 1919, de « l’idéologie technocratique », autrement dit qui encouragea à fonder une nouvelle organisation sociale et économique rationalisée pour profiter au mieux des apports des sciences et techniques, et donner à ceux qui les maitrisent une place importante dans les prises de décision et les choix à opérer. Des technocrates qui influenceront dans les années suivantes pour la création de la comptabilité nationale, le commissariat au plan, le développement du service de statistique…
En 1924, c’est la « république des professeurs » qui commence à faire parler d’elle. Parce qu’à partir de cette date, les présidents du Conseil (les Premiers ministres de l’époque) sont souvent issus de l’École normale supérieure : Édouard Herriot, Paul Painlevé, Léon Blum, André Tardieu… Une « république des professeurs » qui, à partir de la quatrième République vit lui succéder une « république des avocats » avec notamment Pierre Mendès-France, Edgar Faure… voire François Mitterrand.
L’École nationale d’administration, créée par… ordonnance par le général de Gaulle inspiré par Michel Debré en 1945 va donner naissance à la « république des énarques ». Qui peuplent aujourd’hui les cabinets ministériels, celui du Premier ministre, celui du Président de la République. Et une nouvelle fois, avec la nomination de ce nouveau gouvernement, comme depuis une génération au moins, a resurgi l’idée de faire appel à la société civile qui, si l’on a bien compris, incarnerait les représentants du corps social par opposition à la classe politique.
Mais les technocrates, les professeurs, les avocats, les énarques, ne sont-ils pas des représentants de la société civile ? Et la société civile dont on parle aujourd’hui, n’est-ce pas un ultime avatar de ces « sachants », considérés comme plus aptes à gouverner que la classe politique ?
 Une classe politique qui a, elle, la caractéristique d’être élue par le peuple.

Denis Tardy

 

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