MARATHONS
C’est comme si, ces derniers jours, l’actualité s’était inscrite dans la lignée d’On achève bien les chevaux, le film de Sydney Pollack de 1969 tiré du roman d’Horace Mc Coy contemporain, lui, de l’époque où se déroule l’action, les marathons de danse dans des États-Unis ravagés par la crise économique. L’actualité qui se convertit au marathon, au « temps long » ? Étonnant car à contre-courant de la tendance générale d’une actualité en « mode » toujours plus accéléré, en raison de l’irruption massive des nouveaux outils de communication.
Ce fut d’abord un match de rugby d’anthologie, dans le tournoi des six Nations, France-Galles, qui s’étira sur 100 minutes, avec 20 minutes de temps additionnel, du jamais vu. Tout comme les 9 mêlées décidées par un arbitre têtu, Wayne Barnes, les unes à la suite des autres, à quelques mètres de la ligne d’en but, plutôt que de décider d’un essai de pénalité. Au final, on achève bien les gallois…
Temps long aussi, pour un débat télévisé entre cinq candidats à l’élection présidentielle, les « on » (Fillon, Hamon, Macron, Mélanchon) et la seule femme de cette « bande des cinq ». Trois heures et demie, là encore, hors normes. Un débat sans déballages d’affaires judiciaires sur lesquelles aucun candidat n’a insisté. Soit dit en passant, ils auraient pu en avoir plein le dos, les candidats, de la station debout imposée trois heures et demie durant face à des journalistes assis, eux… Surtout l’un d’entre eux dont on se souvient qu’il fut fauché par une terrible sciatique lorsqu’il était Premier ministre. Une volonté d’achever les politiques seniors ?
Temps long encore plus, hors des frontières, avec le « Brexit » : 280 jours après que les urnes aient rendu leur verdict, lors du référendum du 23 juin 2016, ce n’est que le 29 mars prochain que l’activation de l’article 50 du traité de Lisbonne devrait être demandé par la Première ministre (devrait au conditionnel, car les choses ont tellement trainé qu’on ne peut préjuger de rien). Un article qui prévoit des négociations pendant deux ans maximum, mais uniquement pour les conditions du retrait, pas pour la signature de tous les nouveaux accords qui seront nécessaires entre pays… On n’achève pas des relations étroites depuis plus de quarante ans au sein de la famille européenne sur un simple claquement de doigt.
Et puis en ces temps où la magistrature française se distingue particulièrement dans l’actualité, on ne saurait passer sous silence le temps particulièrement long mis pour que des juges jugent une juge : c’est en décembre 2018 (on vient de l’apprendre) que se tiendra le procès de l’ancienne présidente du syndicat de la Magistrature, pour l’affaire dite « mur des cons » ; souvenez-vous, c’était en avril 2013 que fut rendu public l’existence, dans les locaux du syndicat d’un panneau-piloris où les portraits de nombreuses personnalités politiques (surtout de droite) étaient voué aux gémonies, les hommes politiques, pas leurs portraits. Plus de cinq ans, si ce n’est pas du temps long, cela y ressemble beaucoup. De quoi achever nos dernières illusions ?
À tous ces marathons de l’actualité, on ne peut s’empêcher d’y ajouter un anniversaire. C’est en mars 1947 en effet, il y a exactement 70 ans, que l’historien Fernand Braudel soutenait sa thèse La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II. Un triomphe qui ouvrit la voie à une nouvelle approche de l’histoire et de la temporalité historique, celle… du temps long.
Denis Tardy